« La bamboche, c’est terminé ! » (Pierre Pouëssel, préfet de la région Centre-Val de Loire, 22 octobre 2020, sur France 3 Centre-Val de Loire).
« Il a fait tant de bamboches quand il était jeune ! Ces gens-là, madame, n’avaient pas le moindre ordre ! » (Flaubert, Madame Bovary).
Selon Apollinaire, bamboche est attesté depuis 1789, puisqu’il apparaîtrait dans l’ouvrage Mylord Arsouille ou les Bamboches d’un gentleman. L’origine morphologique du terme est assez floue, mais on estime plausible que bamboche soit un dérivé de bambochade, lui-même emprunté à l’italien bambocciata qui désigne depuis le XVIIe siècle des peintures représentant des scènes burlesques, mises à la mode par le peintre Pierre Van Laer, surnommé Bamboccio à cause de sa petite taille (bamboccio désigne, de manière péjorative, un enfant grassouillet et maladroit). Bambochade serait devenue bamboche sous l’influence de débauche (qui renvoie à la surabondance, l’excès), bidoche (la viande ou la chair), médianoche (repas pris après minuit), et de variantes de noces (la fête). Bambocher, faire la bamboche veut donc dire faire la noce, faire la fête, dans un registre plutôt familier. Le terme apparaît ainsi souvent, dans les écrits du XIXe siècle, dans des discours de personnages appartenant plutôt aux classes populaires, qui aiment bambocher et « se la couler douce » (« Bombard », de Maupassant), qui veulent bambocher et « courailler » (La Cousine Bette, Balzac).
Bamboche renvoie à un discours populaire, mais il est surtout daté, vieilli, ce qui explique l’hilarité avec laquelle les propos de Pierre Pouëssel ont été reçus lorsqu’il a déclaré, le 22 octobre dernier, pour appeler les plus jeunes à respecter les gestes barrières : « La bamboche, c’est terminé ! ». « Je crois entendre mon père quand il recevait mon bulletin de notes : “Thomas, je ne sais pas si t’as regardé ton bulletin, mais là on se met au boulot, on arrête la bamboche !”», s’exclame ainsi Thomas VDB dans sa chronique « En finir avec la bamboche ! » (« Par Jupiter ! », France Inter, 26 octobre 2020) avant de déclarer ironiquement que le préfet devait être un membre du Big Bazar de Michel Fugain, groupe dont la chanson C’est la fête connut un grand succès. Bamboche fait partie de ces termes qui, alors qu’ils n’étaient guère plus en usage, ressurgissent de manière incongrue lors de discours publics de personnalités politiques — comme l’expression « mettre le bololo » d’Édouard Philippe à propos des Gilets jaunes (RTL, 14 novembre 2018) ou les « parties » évoquées par Emmanuel Macron lors de l’annonce de la mise en place d’un couvre-feu (TF1, 14 octobre 2020).
Pourquoi ces mots reviennent-ils dans l’usage ? Simple évolution de la langue, qui voit des termes vieillis revenir à la mode (comme « oseille » ou « daronne »), puis vieillir à nouveau ? Stratégie politique de diversion ? « Pour annoncer des mesures très dures, c’est mieux d’utiliser des mots rigolos », disait Thomas VDB. Dans son usage passé, bamboche était un terme plutôt péjoratif. Parler de bamboche, c’était moins parler de manière populaire qu’emprunter un mot connoté comme populaire pour fustiger toutes celles et ceux qui préfèrent la fête à l’ordre, voire pour évoquer tout un peuple gouailleur, louche, contrefait. La bamboche désignait aussi des personnes étranges, difformes, de petite taille : les frères Goncourt parlent, dans leur Journal, d’« une petite de neuf ans », « une ouvrière », « une bamboche aux yeux déjà ardents de femme et de voleuse ». De nos jours, le terme associe ancienneté, sympathie et autorité, permettant ainsi à son locuteur d’adopter l’éthos discursif d’un « père de famille » gentil, quelque peu traditionnel, mais sévère. L’ordre contre la bamboche : rappelons-nous le Général de Gaulle qui, dans son discours fustigeant la « pagaille » lors de la campagne électorale de 1965, comparait la France à une ménagère soucieuse de bien tenir sa maison qui ne voulait pas que son mari aille « bambocher » (15 décembre 1965, entretien avec Michel Droit).
La bamboche renvoie donc paradoxalement à son antithèse : à l’ordre, au discours de sévérité en temps de crise. Pourtant, après les attentats de 2015, l’ouvrage Paris est une fête d’Hemingway s’était arraché dans les librairies parisiennes. Mais aujourd’hui, la bamboche, c’est terminé.