Ainsi nommés, les infirmières et les infirmiers, les médecins – généralistes, urgentistes, réanimateurs… –, les personnels hospitaliers, les aides-soignants… sont représentés dans l’exercice de leur mission, salvatrice. Sur eux reposent la guérison, le rétablissement de la santé, la préservation de la vie.
« Il faut que les gens […] respectent les règles de confinement pour préserver tous les soignants qui, au péril de leur vie, se dévouent pour nous. » (L’Indépendant, 1er avril 2020), « C'est grâce au travail, au dévouement de nos soignants, des personnels de la protection civile, des forces de l'ordre et des Armées, que nous sauvons chaque jour tant de vies. » (Emmanuel Macron, 1er mai 2020).
À la faveur de l’épidémie de Covid-19, le nom soignant a vu son usage fortement progresser dans les discours politiques et médiatiques. Plusieurs raisons à cela. À côté de noms de métiers du soin qui spécifient une pratique et une expertise, ce désignant revêt une valeur générique, c’est-à-dire qu’il renvoie à une classe tout entière : les personnes qui soignent. Unifiant, englobant, il a ainsi le pouvoir d’effacer les frontières, de gommer les spécificités entre les différents métiers du soin. Au singulier, il replace le spécialiste dans un ensemble plus large que celui défini par sa spécialité. Employé au pluriel – ce qui est le plus souvent le cas –, il évoque un collectif, un ensemble d’acteurs complémentaires, engagés et solidaires… faisant corps pour sauver des malades. Formé en ancien français à partir de la locution verbale aveir soign de « se soucier de, s’intéresser à »1 , ce mot met en effet aussi l’accent dès ses origines sur le soin et la préoccupation pour l’autre. Au singulier comme au pluriel, il fait porter le regard sur la mission même de toutes les professions de la santé : soigner.
L’usage du nom soignant pour référer à des professionnels de la santé est relativement récent. De la fin du XIXe siècle jusqu’aux années 1990, c’est surtout l’adjectif soignant qui est employé avec cette fonction référentielle, dans des mots composés comme médecin soignant, infirmière soignante, aide-soignant ou encore dans la locution englobante personnel soignant, qui désigne d’abord un ensemble d’acteurs exerçant dans une institution de santé (hôpital, clinique…) et qui préfigure ainsi l’usage contemporain du nom soignant.
C’est en fait à partir des années 1990 que se généralise dans les médias et l’espace public l’usage nominal de soignant, et cela s’explique par l’actualité politique et sociale. Face aux différentes réformes de la santé et de l’hôpital qui sont entreprises, les (personnels) soignants prennent la parole, expriment leur mécontentement, leur souffrance, se mobilisent. L’usage médiatique de soignant est alors très fortement lié à l’actualité de la fonction publique hospitalière, et plus particulièrement à la médiatisation des revendications sociales de son personnel. Dans le même temps, le mot s’invite sur les couvertures de nombreux ouvrages, spécialisés ou grand public, traitant de la relation « patient-soignant », modifiée par la loi Kouchner, du « management des soignants », de la « souffrance des soignants », du « burn-out des soignants »…
Ce mot, qui a commencé à se diffuser dans le contexte des différentes réformes de la santé et de l’hôpital et des mobilisations qu’elles ont entraînées, a acquis face à la pandémie de Covid-19 une charge émotionnelle et symbolique inédite. En l’absence de vaccin et de traitement spécifique, les soignants figurent le dernier rempart contre le virus.
1 Soignant était alors employé comme nom féminin singulier au sens de « concubine ». Cet usage est abandonné en français classique et moderne. Sources : Dictionnaire Historique de la langue française – Le Robert et Trésor de la langue française informatisé.