Septembre 2020, le gouvernement annonce un projet de loi contre le séparatisme ; un mois plus tard, le mot disparaît officiellement du texte proposé. Et pour cause : comment définir rigoureusement des « séparatistes » ?
Le mot semble transparent et facile à former grâce à ce suffixe « –iste » d’une extrême productivité : on décompte plus de 3 000 mots stabilisés dans les dictionnaires courants. Dans une argumentation polémique, on peut créer des mots en « –iste » à partir de quasiment n’importe quelle base (attentistes, ouistes, nonistes, droits-de-l’hommistes, jusqu’au-boutistes…) pour attaquer les humains qui adoptent un comportement précis. Les séparatistes adoptent ou défendent la séparation. Mais la séparation avec quoi ?
Dans l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, au XVIIIe siècle, les « séparatistes » et les « semi-séparatistes » étaient les membres des sectes de la Nouvelle-Angleterre qui revendiquaient leur (semi)séparation de l’Église anglicane plus d’un siècle plus tôt. Comme dans de nombreux autres exemples historiques, les séparatistes s’auto-désignaient ainsi et défendaient une séparation politique ou religieuse. Le mot s’avère précis et efficace dans ces cas.
Qu’en est-il si on qualifie de « séparatistes » des gens qui ne se revendiquent pas comme tels ? Dans ce cas, le mot aura un agent clair (les gens ainsi qualifiés), mais pas d’objet clair. Et là, tout devient possible. Si on défend l’existence de frontières nationales ou régionales, on peut être taxé de séparatiste. Idem si on défend la séparation de l’Église et de l’État, si on organise une réunion en non-mixité ou si on défend le fait de servir la sauce séparée de la salade… Lorsqu’on qualifie de séparatistes des gens qui ne s’en revendiquent pas, le risque est élevé de ne pas se faire comprendre ou de manquer sa cible. Un risque qu’un texte de loi ne peut pas prendre.