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Évasion textile

Satin, mousseline, organza... D'où proviennent les noms des étoffes que nous connaissons ?
Le dessous des mots

L'Orient évoque des visions lointaines et mystérieuses, des fastes somptueux et colorés. Pendant des siècles, il a été pour l'Occident la source de connaissances savantes fondamentales en matière d'astronomie, de mathématiques et de médecine, ainsi que de produits précieux tels que les épices, l’encens et les riches étoffes. Les draps d’or, de soie, les velours d’Orient, pourpre, soie, brocart, par leur caractère luxueux et leur prix élevé, participaient au prestige de leurs riches et puissants possesseurs, souverains et ecclésiastiques. Les étoffes byzantines ont survécu dans les trésors des églises d’Occident, pour protéger les reliques des saints ou confectionner les habits sacerdotaux d’apparat. 

Au Moyen Âge, les Arabes avaient le monopole de ce commerce avec les Vénitiens et les Génois. Cette ancienne et longue pratique commerciale a laissé son empreinte dans le lexique français. Le coton, plante originaire d’Inde qui se répand en Syrie et dont la culture a été introduite en Sicile et en Andalousie par les Arabes au XIIe siècle, la soie, venue de Chine, portent un nom sans rapport avec leur lieu d’apparition. En revanche, de nombreux tissus de coton et de soie gardent dans leur dénomination la trace de leur origine orientale et de leur lieu de production. Le Moyen-Orient, avec l’arabe, le persan, les langues turques, l’Asie, avec le chinois et les langues d’Inde, les centres de production très renommés de Perse, d’Inde ou de Chine, d’Asie Mineure et de Méditerranée orientale dessinent la carte des mille et une étoffes.

Il en va ainsi pour la toile de coton très fine appelée mousseline, qui tire son nom de Mossoul, ville sur le Tigre en Irak. À la fin du XIIIe siècle, Marco Polo rapporte dans le récit de son voyage l’existence d’un drap d’or et de soie fabriqué à Mossoul, appelé mosulin. De même, l'étoffe de coton au tissu peu serré nommée gaze (peut-être de Gaza, en Palestine), le damas, aujourd’hui tissu d’ameublement à motifs floraux (de la ville du même nom en Syrie) ou encore l’alépine, tissu à chaîne de soie et trame de laine originaire d’Alep. Mme Grandet portait une robe de levantine, ancienne étoffe de soie unie qui rappelle le commerce avec les échelles du Levant. La perse, tissu d’ameublement à motifs, porte un nom évocateur mais trompeur puisqu’il est originaire d’Inde, les toiles de Perse venaient d’Hindoustan en passant par la Perse. L’armoisin était une sorte de taffetas très mince, peu lustré. Le mot, emprunté à l’italien ermesino, aussi ormisino, dérive du toponyme Ormuz, île iranienne au débouché du golfe Persique sur la mer d’Oman. Cette île joua un rôle très important dans le commerce maritime en centralisant les marchandises en provenance d’Inde, du XIVe au XVIe siècle.

L’Empire ottoman nous a légué l'angora (de Angora, ancien nom pour Ankara, capitale actuelle de la Turquie), ainsi que l’ottoman, étoffe de soie à trame de coton, formant de grosses côtes. La Circassie, région du nord-ouest du Caucase, est à l’origine de circassienne, tissu croisé de laine et coton. Zola décrit la chambre de Nana, tendue d’andrinople, tissu d’ameublement rouge, de l’ancien nom de la ville de Turquie d’Europe, Andrinople « la ville d’Hadrien, empereur romain (Adrianopolis) », connue aujourd’hui comme Edirne. 

De Chine viennent le brillant satin, de soie ou de coton (de Zaitoun, nom arabe, ou Çaiton selon Marco Polo, c’est-à-dire Tsia-toung, nom médiéval de la ville chinoise du Fujian connue aujourd'hui sous le nom de Quanzhou), les soieries nommées shantung (du nom de,la province de Chine du Nord, Shandong). Le pékin, comme son dérivé pékiné, soierie présentant des bandes alternativement mates et brillantes, portent un nom transparent, de même que le nankin, cotonnade jaune clair. La siamoise, étoffe satinée de soie et de coton, est ainsi nommée car elle imite la mousseline dont les ambassadeurs du Siam firent cadeau à Louis XIV, Siam étant l’ancienne dénomination de la Thaïlande.

L’Asie centrale n’est pas en reste, la route de la soie faisant la jonction commerciale entre l’Asie et l’Europe. L’organsin, fil de soie torse, est d’abord une sorte d’étoffe de soie vers 1150 sous la forme orcassin, puis orgasin, et les comptes de la cour de Lorraine mentionnent au début du XVIIe siècle l’achat d’organsin de Venize, attestant la forme actuelle. L’italien organzino serait issu du nom de la ville d'Ūrganj, au Turkestan russe, ville de négoce entre Arabes et Chinois connue au Moyen Âge pour son marché de la soie, ville qu’en Europe on appelait Organzi. Les vestiges de cette cité, Kounia-Ourguentch au Turkménistan, sont inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, tandis que la ville moderne se trouve aujourd’hui en Ouzbékistan et se nomme Ourguentch. La mousseline légère et apprêtée, appelée organdi quand elle est en coton et organza si elle est en soie, est de même origine, probablement la prononciation indienne du toponyme Organzi. Le lointain Ouzbékistan, par l’intermédiaire de la ville de Boukhara, a également fourni bougran, qui a désigné plusieurs étoffes au fil du temps.

L’Inde, berceau historique du coton et de l’industrie textile, est très présente, notamment avec l’indienne, toile de coton peinte ou imprimée provenant initialement des comptoirs de la Compagnie des Indes, puis contrefaite dans le royaume, notamment à Marseille où les artisans ont été formés par la communauté arménienne. Louvois interdit le commerce et la fabrication des toiles étrangères et françaises en 1686, mesure qui crée une contrebande florissante. Madame de Sévigné, de retour de Provence, offre des indiennes à sa fille, lançant la mode à la cour de Louis XIV, où M. Jourdain, le bourgeois gentilhomme de Molière, se réjouit de sa robe de chambre d’indienne, signe de distinction. Dans une société habituée aux lourdes étoffes de laine et de soie, le succès de cette cotonnade légère et bon marché se maintient et, au début du XIXe siècle, on compte 27 indienneries en France, l’indiennage employant des centaines d’ouvriers, les indienneurs. L’engouement se portera ensuite sur les cachemires, châles de laine à motifs floraux. Ce précieux lainage est formé des poils soyeux des chèvres exposées au vent glacial de la région montagneuse du nord du sous-continent indien qui lui donne son nom, cachemire, tout comme le casimir, drap léger à chaîne coton et trame laine pour les vêtements d’homme (de Cassimer, ancien nom anglais de la province). Le sous-continent fournit de nombreux autres exemples : le surah, étoffe de soie douce et souple (de Surat, grande ville du Gujarat où les Portugais fondèrent un comptoir au XVIe siècle) ; le calicot, cotonnade grossière de qualité très ordinaire, est une étoffe de Calicut, comptoir portugais de la côte de Malabar, ville du Kerala de nos jours baptisée Kozhikode ; le madapolam, autre cotonnade, du nom du faubourg éponyme de la ville de Narsapur dans l’Andhra Pradesh où la Compagnie des Indes orientales possédait une fabrique de tissus. Madras, ancien nom de Chennaï, grande ville du Tamil Nadu, est resté associé au tissu à chaîne de soie et trame de coton, aux couleurs vives, appelé madras, dans lequel on confectionnait mouchoirs et fichus. 
Le sautillant tarlatane, dont la première attestation ternatane date de 1699, désigne une étoffe de coton au tissage lâche et chargée d’apprêt, dont l’origine est incertaine. Il vient probablement d’Indonésie, de l’archipel des Moluques, où l’île de Ternate était un important centre de commerce des épices – girofle et muscade – des Indes néerlandaises, du XVIe au XVIIIe siècle. 

Les lainages, quant à eux, portent des noms liés à la géographie de la Grande-Bretagne. Mais ceci est une autre histoire…

 

Pour poursuivre le voyage : 

E. Sabbe, « L'importation des tissus orientaux en Europe occidentale au Haut Moyen Âge, IXe et Xe siècles », Revue belge de Philologie et d'Histoire, 1935, 14-3, pp. 811-848.
1re partie et 2e partie.

Françoise Piponnier, « À propos de textiles anciens, principalement médiévaux », Annales, 1967, 22-4, pp. 864-880.

Jean Bezon, Dictionnaire général des tissus anciens et modernes, ouvrage où sont indiquées et classées toutes les espèces de tissus connues jusqu'à ce jour soit en France, soit à l’étranger, notamment dans l’Inde, la Chine, etc., 1856-1863.

Sur l’histoire des indiennes :

Musée de l’impression sur étoffes, à Mulhouse.

Serge Chassagne, « Indiennes et indienneurs à Rouen », Études normandes, 1996, 45-3, pp. 39-54.

Nicole Vulser, « 1686 : Louis XIV interdit le port des indiennes », Le Monde, 9 juillet 2012.

Florence Bauchard, « Louvois met son veto sur les indiennes », www.lesechos.fr, 1er juillet 2012.

Isabelle Bonsignour, « Le saviez-vous : l'Inde est à l'origine du tissu provençal », www.lepetitjournal.com, le 4 août 2020.

 

© Elena Moiseeva

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