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Les surnoms donnés aux villes

Le dessous des mots

« Monaco-PSG : Paris s’impose rarement sur le Rocher » (Le Parisien, 15 janvier 2020).

La périphrase, figure de style qui remplace un mot précis par une expression, permet d’éviter les répétitions, souci stylistique bien français. Les grandes villes du monde, les pays possèdent des surnoms conventionnels. Ces formules figées, fréquemment employées par les journalistes pour désigner les lieux, restent parfois obscures quant à leur motivation.

La Ville lumière désigne Paris, qui adopta très tôt le gaz d’éclairage, par le gaz de distillation du bois, invention attribuée à l’ingénieur Philippe Lebon, puis au début du XIXe siècle par le gaz hydrogène selon le procédé anglais, par distillation de houille. Les becs de gaz se multiplient dans la capitale, de grandes usines à gaz fleurissent à la périphérie, et les allumeurs de réverbères opèrent leur reconversion, passant des lanternes à huiles aux lampes à gaz. L’invention d’Edison en 1878 les réduira au chômage.

Lyon est la capitale des Gaules et son évêque est le primat des Gaules. Pourquoi tant de Gaules ? La ville antique, Lugdunum, est la capitale de la Gaule lyonnaise et le siège du pouvoir impérial pour les trois provinces romaines. En effet, la Gaule transalpine (au-delà des Alpes pour les Romains) était divisée en trois provinces impériales (Gaule lyonnaise, Gaule aquitaine et Gaule belgique).

Si Toulouse, capitale régionale aux élégants bâtiments de brique de terre cuite, est baptisée la Ville rose, il ne faut y voir aucune connotation politique. Ce matériau de construction traditionnel s’est imposé en raison de l’environnement géologique local, caractérisé par l’abondance d’argile et l’absence de pierre de taille à proximité. Ce surnom est également attribué à Jaipur, capitale du Rajasthan, en Inde.

Fondé par des colons grecs venus de Phocée, cité prospère d’Asie Mineure, le comptoir de Massalia va être à l’origine de Marseille, qui restera la cité phocéenne. Les Phocéens fondèrent plusieurs comptoirs, Avignon en remontant le Rhône, et sur la côte, Agde, Antibes, Nice, Hyères, Aléria en Corse, Empuries en Catalogne (le grec emporion signifiant « marché, entrepôt », les comptoirs maritimes s’opposant aux colonies de peuplement), développant à partir de leur métropole marseillaise un puissant réseau en Méditerranée occidentale.

La cité des papes se trouve bien en France : il s’agit d’Avignon, la papauté y ayant résidé du XIVe au début du XVe siècle. Neuf papes se succédèrent dans le palais des Papes, remarquable édifice gothique, résidence pontificale et siège de la chrétienté d’Occident. À la fin de cette période, durant 39 ans, l’Église est déchirée en deux obédiences, avec un pape régnant à Rome et un autre à Avignon : c’est le grand schisme d’Occident (1378-1417).

Rien à voir avec la cité des doges qui n’est autre que Venise, alias la Sérénissime. Le doge est le premier magistrat, celui qui dirige à vie la République de Venise, constituée au Moyen Âge. Cette république, à laquelle le général en chef de la petite armée d’Italie, Napoléon Bonaparte, mettra fin en 1797, passera ensuite sous domination autrichienne. Le mot doge est d’origine vénitienne, il s’agit du correspondant dialectal de l’italien duce « chef », surnom de Mussolini, remontant au verbe latin ducere « mener, guider », de la même famille que le français duc. Quant à sérénissime, c’est un titre honorifique soulignant la souveraineté de la république. La présence d’un réseau de canaux a favorisé la comparaison avec d’autres villes, et le titre de Venise du Nord est attribué à Amsterdam, à Bruges, parfois à Saint-Pétersbourg ou Stockholm, la France se contentant modestement de la petite Venise du Nord, Amiens.

La Ville éternelle est Rome. L’appellation est née à l’époque impériale, l’urbs aeterna du poète Tibulle sera reprise par Ovide, Virgile et Tite-Live, pour glorifier la puissance d’Auguste et cette vision magnifiée va traverser les âges, devenant la métaphore du pouvoir suprême. La capitale italienne est aussi appelée la ville aux sept collines, par allusion aux principales collines sur lesquelles s’étendait la ville antique. 

La Ville sainte est sans conteste Jérusalem, ville trois fois sainte par sa dimension religieuse exceptionnelle et sa place centrale pour les trois monothéismes. Les lieux sacrés des religions juive et chrétienne en font un site privilégié, et il s’agit d’un lieu saint de l’islam, après La Mecque et Médine.

Si la Grande Bleue est une appellation limpide, sans jeu de mots, pour les Français, sa couleur ne fait pas l’unanimité. En effet, les anciens Égyptiens l’appelaient la Grande Verte, alors que pour les Turcs il s’agit de la mer Blanche (c’est-à-dire mer de l’ouest, par opposition à la mer Noire, de l’autre côté du Bosphore), tandis que les Romains, qui n’étaient pas de grands navigateurs, affirmaient leur domination du pourtour méditerranéen d’un possessif mare nostrum « notre mer ».

Prenez garde de confondre le Rocher avec le Caillou ! Ce rocher constitue la partie la plus ancienne de la principauté de Monaco, promontoire rocheux sur lequel fut construite une forteresse au début du XIIIe siècle et où se trouvent aujourd’hui la vieille ville et les principales institutions de la petite cité-État. Le Caillou est beaucoup plus grand puisqu’il s’agit de la Nouvelle-Calédonie, et plus précisément de l’île principale, la Grande Terre. Ce nom est une allusion à la richesse minière de l’île, le caillou étant en effet le minerai brut, qu’il va falloir trier avant d’en extraire le précieux nickel, l’or vert. Au-delà de cette métonymie, le mot a une connotation affectueuse en français calédonien, une manière pour les non-autochtones d’exprimer leur attachement. L’employer est aussi un moyen d’échapper aux comparaisons induites par les autres dénominations, que ce soit Nouvelle-Calédonie (nom donné en 1774 par l’explorateur britannique James Cook en hommage au vert pays d’Écosse, Caledonia en latin) ou Territoire, terme administratif soulignant la dépendance à la métropole. 

Les pays n’échappent pas à cette manie : le pays du matin calme (la Corée), le pays du sourire (la Thaïlande), le pays des mille collines (le Rwanda), le pays aux mille lacs (la Finlande), le pays des aigles (l’Albanie), la perfide Albion (l’Angleterre), l’Empire du soleil levant (le Japon), l’Empire du Milieu ou le Céleste Empire (la Chine), la Sublime Porte (la Turquie), le royaume chérifien (le Maroc). Pas plus que l’espace, avec la planète bleue, notre Terre, couverte par les océans, et la planète rouge, Mars, car son sol est essentiellement composé d’oxyde de fer lui donnant une teinte rougeâtre. Les Romains avaient assimilé cette caractéristique particulière au sang versé sur les champs de bataille, les amenant à baptiser cette planète du nom du dieu de la Guerre, Mars. Ainsi que toutes les planètes, à l’exception notable de la Terre, qui portent le nom d’une divinité du panthéon romain. Mais ceci est une autre histoire…

 

Pour aller plus loin

Léopold de Saussure, « L’origine des noms mer Rouge, mer Blanche et mer Noire », Le Globe. Revue genevoise de géographie, 1924, 63, pp. 23-36.

Mireille Darot, « Calédonie, Kanaky ou Caillou ? Implicites identitaires dans la désignation de la Nouvelle-Calédonie », Mots. Les langages du politique, 1997, 53, pp. 8-25.

© Ansmp

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