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Tous les grands événements historiques contribuent à créer ou à diffuser un vocabulaire spécifique.

Que l’on songe aux nombreux mots qui nous ont été légués par la Grande Guerre, dans des domaines variés et pas seulement militaire : bastos, becter, bidasse, casse-pipe, contre-offensive, défaitisme, démerdard, lacrymogène, limoger, no man’s land, poilu, Q.G., tank, ypérite... Quant à covoiturage, vous avez peut-être oublié qu’il s’est répandu lors de la grève des poids lourds de 1995, ou encore que bioterrorisme est lié aux attentats du 11 septembre 2001, de même que le nouveau sens de anthrax « charbon », par emprunt à l’anglais. L’émergence d’un nouveau virus, mettant à l’arrêt toute la planète, ne saurait échapper à cette règle.

Des créations plaisantes ont fleuri, lundimanche, covidiot, coronapéro, coronabdos pour les plus courageux, fragiles tentatives lexicales d’alléger un climat passablement anxiogène. Le masque a changé de registre. Il évoquait la joie du déguisement, du carnaval, de la fête, les loisirs avec la plongée ou encore la futilité des soins de beauté. Il a soudainement été associé à la protection sanitaire, au danger, son absence pouvant entraîner la contamination et une issue fatale.

La période a connu ses débats linguistiques classiques. Faut-il dire le ou la covid ? Cet acronyme a été créé en anglais, langue qui ne connaît pas de genre pour les substantifs, et il n’a pas été précisé s’il devait être féminin ou masculin dans les traductions. Le d final représente l’anglais disease « maladie », argument selon certains, notamment l’Académie française et l’Office québécois de la langue française, pour féminiser. L’usage en France est majoritairement masculin, probablement sous l’influence de virus, les sigles en français adoptant le plus souvent le genre du premier mot. Plus tard, nous avons assisté à une passe d’armes entre les tenants de rouvrir et ceux de réouvrir. On dit réouverture, mais le verbe correspondant est plus fréquemment rouvrir (même si l’utilisation de réouvrir est bien attestée).

Des mots peu fréquents ont été soudainement très employés. Le directeur général de l’OMS a déclaré le 11 mars 2020 que « la COVID-19 pouvait être ‎qualifiée de pandémie ».‎ Tout le monde connaissait épidémie, mais pandémie était beaucoup moins courant jusqu'alors. Coronavirus, qui désigne une catégorie de virus, était connu des spécialistes et figurait déjà dans le Petit Robert en compagnie des autres virus, adénovirus, arbovirus, cytomégalovirus, mimivirus, pandoravirus (l'un des derniers entrés dans ce dictionnaire), etc. Il n'était pas connu du grand public, pour preuve l'agitation complotiste autour de ce produit désinfectant qui indiquait être efficace notamment contre les coronavirus. On nous aurait caché des choses… alors que ce mot désigne ce type de virus depuis une cinquantaine d'années ! Des termes réservés aux scientifiques, comme anosmie ou agueusie (respectivement perte de l'odorat, du goût), figuraient déjà dans le Petit Robert. Ces mots désignent des symptômes éventuels de la maladie et se retrouvent donc brusquement dans la presse grand public, où ils sont le plus souvent glosés car rares. D’autres mots savants étaient déjà répertoriés dans les pages du dictionnaire, comme asymptomatique, chloroquine, comorbidité, cytokine, écouvillon, hydroalcoolique, zoonose…

Confinement était évoqué pour des malades contraints de garder strictement la chambre, il pouvait s’agir de l’isolement des aliénés ou de la réclusion des phtisiques. Aujourd’hui, on parle de la moitié de la population mondiale, en bonne santé ! Confinement entre dans la formation de déconfinement, étape suivante de la crise sanitaire, et nous espérons que reconfinement restera dans notre documentation. Pénurie a marqué les esprits, qu’il s’agisse des masques de protection ou des craintes concernant les stocks de médicaments indispensables aux réanimateurs. Télétravail a gagné ses lettres de noblesse, de nombreux salariés devant improviser à domicile. Télétravailler a été ajouté lors de la dernière mise à jour du Petit Robert, fort à propos, de même que contaminant. L’élément télé-, du grec têle « loin, à distance », a été sollicité. Téléconsultation désigne une pratique devenue banale pour éviter les contacts rapprochés.

La diffusion mondiale de la maladie a favorisé l’émergence d’anglicismes, tels que cluster, tracking, tracing ou clapping. Le terme distanciation sociale nous a été imposé comme une évidence, ce qui est loin d’être le cas. Il s’agit d’une traduction hâtive de l’anglais social distancing, l’adjectif est trompeur et distanciation n’avait pas ce sens en français. Son usage est abstrait, on parle de distanciation brechtienne au théâtre, au figuré c’est une prise de recul et dans la terminologie linguistique la distance prise par le locuteur par rapport à son énonciation. En aucun cas il n’était question de distance physique, concrète. Cet anglicisme était à l’évidence moins clair que distance sanitaire ou qu’un impératif « gardez vos distances ! », il n’empêche qu’il a été massivement adopté. Utiliser le mot juste, un vocabulaire compréhensible contribue pourtant à l’efficacité nécessaire à un message de prévention.

Les néologismes n’en étaient pas vraiment. Déconfinement était déjà attesté, dans le contexte d’épidémies dans les élevages ou encore dans le domaine du nucléaire où confinement possède un sens particulier. Pour quatorzaine, il s’agirait d’un néologisme de sens, le mot circulait antérieurement et désignait le salaire accordé pour quatorze jours de travail (cf. toucher sa quinzaine, plus courant).

« De l’influence du pangolin sur le comportement du vocabulaire francophone », sacrée bestiole !

 

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