Comme vous le savez, les synonymes parfaits sont rares. Le Petit Robert en propose un grand nombre, notamment pour les adjectifs et les verbes.
Des couples de mots de même nature, passant pour équivalents, peuvent cependant présenter une nuance. Le choix de l’un ou de l’autre mot est-il vraiment indifférent ? S’emploient-ils dans le même contexte ?
Préférez-vous les nouilles ou les pâtes ? Une première réponse consiste à dire que la nouille est une variété de pâte, plate, étroite et assez courte, coupée en lanière mince, cette forme la distinguant du macaroni et autre coquillette. Par extension, ce mot désigne toute pâte alimentaire, usage familier ignoré du Trésor de la langue française (TLF). Nom spécifique, nouille est devenu un terme générique. Parler de pâte évoque la pasta italienne, constituant un plat savoureux nappé d’une sauce parfumée. Dans l’usage, au pluriel, les deux mots désignent le même type de préparation, et jusqu’à présent, nouilles était en fait plus populaire que pâtes. On tend à éviter nouille dans la restauration, en raison de sa connotation aussi austère que calorique, faisant référence aux fins de mois difficiles et au stock constitué en cas de coup dur. Mais récemment, de nouvelles habitudes alimentaires sont venues rebattre les cartes, avec les nouilles chinoises, aliment de base en Asie, avec le riz. La légende, ou plutôt un publicitaire américain, raconte que c’est Marco Polo qui rapporta les pâtes en Italie au retour de son voyage en Chine. Le français nouille vient de l’allemand Nudel « pâte alimentaire », qui a été également emprunté par l’anglais qui en a fait noodle. Pouvons-nous conclure par cette formule éclairante : toutes les nouilles sont des pâtes, mais toutes les pâtes ne sont pas des nouilles ?
Soupe et potage évoquent des préparations dont on peine à identifier les différences, si ce n’est, peut-être, une valeur nutritive inégale. La soupe est nourrissante, rustique, avec des morceaux de légumes, spécialité régionale épaisse telle la garbure ou le minestrone, plat du pauvre constitué d’une tranche de pain arrosée de bouillon (ce pain est le sens premier du mot soupe, éclairant l’expression trempé comme une soupe) tandis que le potage est un mets raffiné, avec des légumes nobles finement taillés en julienne ou mixés pour obtenir velouté, coulis ou bisque. La compétition met en présence soupe au chou, aux poireaux, à l’oignon face à potage aux pointes d’asperges, potage gourmand, printanier, potage Crécy... Le Trésor de la langue française fait remarquer que si potage et soupe sont allègrement confondus de nos jours, ce n’était pas le cas au XIXe siècle où le potage pouvait contenir des aliments solides. Conformément à son étymologie car potage désigne des aliments cuits au pot, le temps ayant progressivement déplacé l’accent sur le bouillon dans lequel cuisaient ces ingrédients. Ajoutons que soupe entre dans des expressions peu valorisantes qui n’arrangent pas son cas, telles que marchand de soupe, gros plein de soupe, cracher dans la soupe, la soupe à la grimace, la soupe populaire.
Partez-vous en congé ou en vacances ? Le sens premier de congé, « autorisation de s'en aller », se retrouve dans les locutions relativement usuelles prendre congé de qqn ou donner congé à qqn. Le sens général d'« autorisation », est passé dans le domaine de la vie professionnelle. Le mot congé est en relation avec le travail, c’est la permission accordée à un salarié de cesser son activité pour une raison précise (congé maternité, congé maladie, congé parental, congé de formation), et au pluriel, congés fait référence aux congés payés, droit annuel instauré par les lois sociales de 1936. Le second mot, vacances, évoque la liberté retrouvée, loin des obligations. Vacance désigne l’état de ce qui est vacant, vide, inoccupé, notamment l’état d’une charge, d’un poste qui se retrouve sans titulaire (la vacance du pouvoir, d’un siège). À la fin du XVIe, le mot s’est appliqué à la période où les tribunaux interrompaient leurs travaux (en temps des vacances), puis, le siècle suivant, aux autres cessations d’activité (vacances scolaires). En toute rigueur, on obtient un congé permettant de prendre des vacances, de partir en vacances. Dans l’usage, ces deux termes se confondent le plus souvent, sans conséquence, si ce n’est sur l’orthographe : on est en congé (au singulier), mais en vacances.
Êtes-vous invités à une noce ou à un mariage ? Si vous êtes dans le premier cas, apprêtez-vous à faire la fête et à célébrer joyeusement l’événement. Alors que si vous êtes dans le second, il peut s’agir seulement d’assister à la cérémonie en mairie… nettement moins festive ! Noce désigne la célébration du mariage et les réjouissances qui s’ensuivent, donnant lieu à un nouveau sens, par métonymie, « partie de plaisir », et à la locution, aujourd’hui vieillie, faire la noce, activité prisée des noceurs. Cette dimension joyeuse est absente de mariage, dérivé du verbe marier, qui désigne à la fois l’union de deux personnes, qu’elle soit religieuse ou civile, et l’état qui en résulte.
Il vous faut nettoyer les décombres ou les gravats ? Nous vous souhaitons la seconde tâche, car il s’agit alors d’évacuer les débris provenant de travaux, de démolition. Quant à la première, c’est la conséquence d’une catastrophe, au choix, effondrement, tremblement de terre, bombe… Gravats est l’altération de gravois « débris », en ancien français « sable grossier », de même origine que grève, désignant le bord d’un cours d’eau, de la mer, terrains appelés graves en Gironde. Décombres, employé le plus souvent au pluriel, est le déverbal d’un ancien décombrer « enlever ce qui encombre ».
Faites-vous du vélo ou préférez-vous vous adonner à la bicyclette ? Qu’importe votre petite reine, pourvu que vous ayez l’ivresse des cheveux au vent ! Le premier engin a un côté sportif, court le Tour de France ou tourne sur un vélodrome. Le vélo de course possède un équipement technique tourné vers la vitesse, la performance, il sent la sueur des classes populaires, champions ou ouvriers. Tandis que la bicyclette, chantée par Yves Montand à la gloire de Paulette, fleure bon la campagne, la randonnée sur les petites routes qui sentent la noisette… Le vélocipède, engin que l’on fait avancer par la force des pieds au sol, avant d’être muni de pédales (par un serrurier parisien, Michaux, invention brevetée en 1868 sous le nom de pédivelle), est proche de la machine connue en France sous le nom de draisienne (invention de Karl Drais, baron allemand, qui la baptise Laufmaschine « machine à courir »). Pour le rendre plus rapide, la solution retenue est d’augmenter le diamètre de la roue avant. Celle-ci, directrice et motrice, finira par atteindre un très grand diamètre sur le bicycle, et la pratique du grand bi ne va pas sans chutes et contusions. Ces problèmes de sécurité le feront disparaître au profit de la bicyclette, dont les dimensions plus modestes justifient le nom ; bicyclette est en effet le diminutif de bicycle, engin imaginé à partir du tricycle. Les deux mots sont bien synonymes, bicyclette a le charme poétique des mots surannés tandis que vélo porte seul les améliorations modernes (vélo électrique, pliant, tout terrain, tout chemin, cargo…).
Si l’être humain se souvient parfois qu’il est un animal, il ne saurait être une bête comme Pascal nous l’a rappelé. Mais ceci est une autre histoire…
La pâte détrône la nouille, Libération, 11/02/1995
https://next.liberation.fr/vous/1995/02/11/la-pate-detrone-la-nouille_123398
Vélo, bicyclette, histoire des mots, Odon Vallet, Les Cahiers de méthodologie, 1998/1 (n°5), pp. 15-18
https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-mediologie-1998-1-page-15.htm
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