Abruti est le participe passé du verbe abrutir.
Le mot est composé du préfixe a (du latin ad, qui marque un changement d’état, comme dans affamer ou asservir) et du latin brutus, qui signifie la bête, l’animal qui n’est pas doué de raison, qui est mal dégrossi, comme un être brutal, agressif, non civilisé ou un diamant brut, intact, à l’état naturel.
D’entrée, on constate qu’il possède une caractéristique somme toute assez rare en français, il ne présente absolument aucun problème d’orthographe. Il s’écrit comme il se prononce. Il ne présente donc aucun intérêt pour l’exercice de la dictée. Contrairement à alléger ou alourdir, annoter ou ânonner.
Le verbe ânonner lui-même renvoie à l’animalité de l’âne qui répète bêtement une règle scolaire orthographique sans vraiment en comprendre le sens.
Dans le mot abruti, la racine latine brutus signifiait à l’origine lourd, pesant physiquement, mais également intellectuellement. L’étymologie du verbe abrutir le rapproche donc du verbe hébéter (rendu bête).
La première occurrence du mot en français date du XVIe siècle (Calvin, 1541, Inst. Chrét. I, XV, 2). Entre le XVIe et le XIXe siècle, le verbe abrutir est surtout employé dans un sens transitif et désigne quelqu’un dont on a diminué les qualités physiques ou intellectuelles, voire morales, qu’on a ramené au « rang de bête ». Il est très employé pour désigner par exemple les ouvriers « abrutis » par le travail, voire les enfants « abrutis » par les travaux scolaires.
« C'étaient des hommes abrutis par la servitude, aveuglés par l'idolâtrie, et chez qui toute humanité s'était éteinte avec le sentiment de la liberté. »
François-René de Chateaubriand, Les Martyrs ou Le Triomphe de la religion chrétienne, 1810.
« Vous abrutissez votre enfant si vous allez toujours le dirigeant, toujours lui disant : Va, viens, reste, fais ceci, ne fais pas cela. Si votre tête conduit toujours ses bras, la sienne lui devient inutile. »
Jean-Jacques Rousseau, Émile ou De l'éducation, 1762.
« La condition d'un peuple abruti est pire que celle d'un peuple brute. »
Denis Diderot, Lettre sur le commerce de la librairie, 1764.
La substantivation du participe abruti est plus tardive. Un abruti devient alors synonyme d’imbécile, de personne non éduquée, sans esprit, de crétin. Son emploi est considéré comme familier ou même injurieux par la plupart des dictionnaires contemporains. Il appartient pourtant à un registre relativement soutenu, voire archaïsant. Son sens a donc évolué d’une certaine manière de la victimisation vers l’insulte, tout en gardant l’idée qu’une personne abrutie a perdu son caractère humain et « civilisé ». Il est intéressant de noter que cette dimension dédaigneuse qui souligne un manque d’éducation n’évoque plus vraiment l’animal aujourd’hui. Il rejoint en ce sens l’adjectif bête, dont on ne perçoit plus nécessairement le rapport à l’animalité.
Abruti, c’est enfin le mot qui fut au cœur de la récente polémique qui opposa le docteur Jean-Paul Hamon, ex-président emblématique de la Fédération des médecins de France (FMF), et le chanteur Francis Lalanne. Invité sur le plateau de CNews, le médecin avait traité le chanteur d’« abruti » pour avoir incité les gens à s’embrasser devant les forces de l’ordre lors d’une manifestation contre les mesures sanitaires liées au Covid.
Même si on ne sent plus directement la bête derrière l’abruti, ce mot revêt pourtant une réelle brutalité. En revanche, il ne traduit plus aucune sollicitude pour la personne à qui il est adressé, mais manifeste un mépris assumé que trahit l’emportement du médecin.
Cette insulte regrettable n’en fut pas moins prophétique puisque je découvre, en rédigeant ce billet, la très grande brutalité avec laquelle le chanteur de Fais-moi l’amour pas la guerre et Laisse-moi t’aimer vient d’envoyer un journaliste de l’émission Quotidien aux urgences à grands coups de poing rageux.
Comme disait Desproges : « L’ennemi est bête, il pense que c’est nous l’ennemi alors que c’est lui ».
Source : TLF (cnrtl.fr)
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