Prendre des aliments par la bouche. Il n'est point degousté, il
mange tout ce qui est bon à
manger. On ne
mange point de chair les Vendredis & le Caresme. C'est un pauvre homme qui ne
mange que du pain & du fromage. Les rats
mangent plus volontiers l'avoine que toute autre chose, les limaçons, les oeillets d'Inde. Il y a des plantes bonnes à
manger, & d'autres non. Les Cordeliers ont long-temps soustenu qu'ils n'avoient pas la proprieté du pain qu'ils
mangeoient.
MANGER, signifie aussi, Prendre sa refection. Les Moines Reguliers
mangent en commun. Ce Seigneur ne veut pas qu'aucun de ses gens
mange avec luy à sa table. Il a table ouverte, & donne à
manger fort proprement, c'est à dire, splendidement, beaucoup d'honnestes gens vont
manger chez luy. Cet homme
mange à l'auberge, il
mange où il se trouve, où il peut. Ce goinfre ne
mange pas, il devore, il semble qu'il n'ait ni beu ni
mangé de huit jours. Voilà une sale à
manger fort commode.
MANGER, se dit aussi passivement à l'égard de l'homme. Les poux & la vermine le
mangent. Les Grands sont
mangez des vers dans leurs tombeaux, aussi-bien que les plus petits. Jesabel fut
mangée actuellement par les chiens ; Acteon figurément par les siens.
MANGER, se dit aussi du bien que l'on consume, qu'on dissipe soit par la bouche, soit par toute autre sorte de maniere & de despense. Cet homme a
mangé plus d'or qu'il n'est gros, il a
mangé tout son bien en folles despenses, en jeu, en femmes, en debauches. Il a
mangé son fait à plaider, à bastir, à répondre pour autruy. Il a
mangé, fricassé tout son patrimoine, ses terres, ses rentes. Ses valets, ses maîtresses le
mangent, le pillent. Les Procureurs
mangent leurs parties, les consument en frais.
MANGER, se dit par extension de plusieurs choses inanimées qui rongent, corrodent, détruisent quelque chose. Le temps
mange & destruit tout. La lime & la rouille
mangent le fer, le cuivre. L'eau forte
mange l'or & l'argent, les dissout. La tigne, les vers
mangent les draps, les étoffes. Le grand air
mange les couleurs. Les grosses usures
mangent le gage. Les poudres caustiques
mangent les chairs. Le cancer, la verole le
mangent. On dit aussi, qu'une planche, une écriture sont
mangées, pour dire, qu'elles sont usées, effacées, qu'il n'y paroist plus rien.
MANGER, se dit aussi en parlant de ce qui se doit employer en abondance pour faire reüssir quelque chose. Une forge
mange bien du charbon. De si larges fondements
mangent bien du moilon, du mortier.
MANGER, se dit aussi de l'employ qu'on choisit, ou dont on a tasté. Cet escolier ne veut point
manger de l'estude, il luy faut faire
manger de la guerre, il en sera bientost saoul. On dit aussi hyperboliquement en menaçant quelqu'un, qu'on luy fera
manger ses bras jusqu'au coude, pour dire, qu'on le fera enrager, par allusion à la peinture qu'on fait de l'envie & de la faim, qui se
mangent les bras elles-mêmes.
MANGER, se dit aussi figurément en Morale, pour dire, Regarder attentivement, avec passion, avec amour & tendresse. Ces deux amants se
mangent des yeux à force de se regarder. Ces amis se sont retrouvez, & ont failli à se
manger de caresses. On le dit aussi de la colere. Ces gens se sont querellez, & ont failli a se
manger, ils se
mangeoient le blanc des yeux. Si cet homme avoit fait une affaire sans sa femme, elle le
mangeroit.
MANGER, en
termes de Grammaire, signifie, Faire une élision, ne pas prononcer quelque lettre. En François l'e feminin se
mange devant une voyelle. En scandant les vers Latins toutes les voyelles se
mangent, & l'
m aussi.
En ce sens on dit qu'un homme
mange la moitié de ses mots, quand il n'en prononce pas distinctement toutes les syllabes. Les Moines
mangent la moitié de leur Office en le disant.
MANGER. subst. masc. Mets, aliments dont on se nourrit. Un Cuistre accommode le boire & le
manger d'un Pedant. Le chef-d'oeuvre de ce Cuisinier estoit un
manger de Roy. Il aime tant l'estude, la chasse, qu'il en perd le boire & le
manger, pour dire, il s'y occupe entierement. Blanc
manger. Garde
manger. Voyez à leur ordre.
MANGER, se dit proverbialement en ces phrases. Cet enfant a
mangé son pain blanc le premier, pour dire, il a esté traitté plus delicatement en jeunesse, qu'il n'aura moyen de l'estre estant avancé en âge. On dit au contraire, qu'on a
mangé de la vache enragée, pour dire, qu'on a beaucoup pâti, qu'on a appris à travailler, à estre sage. On dit aussi, qu'un homme
mange son bled en verd, pour dire, qu'il a
mangé son revenu avant qu'il soit escheu.
On dit aussi, Sa part en est
mangée, pour dire, Il ne peut plus rien esperer de cette affaire, de cette pretention. On dit aussi, Voilà ce que les rats n'ont pas
mangé, quand on produit quelque chose qu'on gardoit secrettement. On dit aussi, Qui se fait brebis le loup le
mange, pour dire, qu'on n'est pas si-tost attaqué, quand on temoigne qu'on se sçait deffendre. On dit aussi, que la guerre est bien forte, quand les loups se
mangent les uns les autres : ce qui se dit au figuré, quand des gens de même profession se plaident, se deschirent, se destruisent les uns les autres.
On dit aussi, que l'appetit vient en
mangeant, tant au propre qu'au figuré, pour dire, que l'ambition & l'avarice croissent toûjours. Voyez l'origine de ce proverbe à
Appetit. On dit aussi ironiquement d'un demy-sçavant, Il est sçavant jusqu'au dents, il a
mangé son Breviaire. On dit aussi, A petit
manger bien boire. On dit encore d'un homme & d'une femme qui ont même habitation,
Boire & manger, coucher ensemble,
C'est mariage, ce me semble.
On dit aussi, des papiers & autres choses inutiles qu'on garde, Cela ne
mange point de pain. On dit aussi, que les gros poissons
mangent les petits, pour dire, que les Puissants oppriment & pillent les foibles.
Regnier a dit agreablement :
Ja tout apprivoisé je mangeois sur le poing.
On dit qu'une personne
mange comme un chancre, pour dire, qu'elle
mange beaucoup. Ce mot vient du
Latin mandere ou
manducare.