Parmi les principales difficultés qui rendent l’exercice de la dictée si périlleux pour les francophones, on retrouve immanquablement la question des consonnes doubles. En effet, en français, on écrit alléger mais alourdir, charrette mais chariot. Fumerolle mais bestiole. Carotte mais compote. Grelotter mais sifloter. Collé mais accolé, etc. Ces consonnes doubles constituent à elles seules 28 à 56 % des fautes d’orthographe.
Pourtant, à l’origine, le latin en possède très peu, probablement toutes prononcées. Au Moyen Âge, en ancien français, la plupart des mots s’écrivaient sans redoublement de la consonne. À l’époque, on écrivait pome (du latin pomu), soner (du latin sonare). Ensuite, en moyen français, certaines consonnes sont doublées dans les mots marqués par une nasalisation de la voyelle qui précède, comme dans bonne (que l’on prononçait /bon/ne/). La première consonne indiquait que la voyelle était nasale, la deuxième signalait que l’on prononçait ensuite la consonne /m/ ou /n/, comme c’est encore le cas dans emmener ou ennui. C’est cette prononciation qui au 17e siècle permet, entre autres, à Molière de mettre dans la bouche de Martine, la servante des Femmes savantes, un calembour resté célèbre :
Bélise.
Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ?
Martine.
Qui parle d’offenser grand’mère ni grand-père ?
D’autres consonnes doubles répondent également aujourd’hui à des règles phonétiques relativement claires. Un double s permet de distinguer poisson de poison ou coussin de cousin. Mais ces règles sont mises à mal par de nombreuses exceptions. En effet, tous les mots qui possèdent un préfixe latin tel que parasol, antisocial ou aseptiser enfreignent cette règle. Mais il existe des exceptions à ces exceptions. On écrit en effet annoter, accréditer ou encore pressentiment malgré la présence d’un préfixe. De quoi y perdre littéralement son latin.
En réalité, la plupart du temps il est impossible de deviner le nombre de consonnes sans l’avoir apris, … appris, heu, oui … appris au préalable, ce qui donne lieu à d’interminables listes à ânon, … ânonn… bref, répéter en classe, et à des procédés mnémotechniques farfelus qui nous amènent à « apercevoir des apôtres qui prennent l’apéritif », ou à évoquer les « hirondelles qui ont besoin de deux l pour voler ». Et l’anophèle est bien emmerdé.
Dans un formidable fascicule intitulé « Orthographe, qui a peur de la réforme ? », les linguistes Georges Legros et Marie-Louise Moreau résument la situation en classant ces consonnes doubles en trois catégories :
- Dans la première, la double consonne se prononce (fille, succès, emmerder, etc.).
- Dans une deuxième catégorie, la double consonne signale que le e qui la précède se prononce /è/ (chienne, gemme, vignette) ou que le e qui la précède se prononce /a/ (femme, évidemment…).
- Et enfin, dans une troisième catégorie, on retrouve les doubles consonnes qui n’ont aucune influence sur la prononciation des lettres qui suivent ou qui précèdent et doivent tout simplement être retenues par cœur (on écrit sotte mais azote, appauvrir mais apaiser, etc.)
C’est bien évidemment sur cette troisième catégorie qu’il faudrait sans doute concentrer les efforts de rationalisation futurs pour rendre notre orthographe plus cohérente.
La réforme de 1990 qui, rappelons-le, est l’orthographe de référence pour l’Éducation nationale depuis 2016, s’y est déjà attelée en supprimant par exemple les anomalies des verbes en –eler et en –eter qui prennent dorénavant un accent grave et une seule consonne (j’amoncèle, j’époussète). Elle impose également d’écrire les mots en -olle et oter avec une seule consonne (corole, frisoter…). Elle recommande, en outre, d’éviter les consonnes doubles dans la formation des néologismes. Rien de bien audacieux.
Et si vous n’avez pas froid aux yeux, vous pouvez également jeter un œil aux recommandations du groupe EROFA (étude pour une rationalisation de l’orthographe française d’aujourd’hui) dirigé par Claude Gruaz. Ce groupe de recherche en linguistique qui rassemble les plus grands spécialistes de ces questions recommande notamment de ne pas doubler la consonne dans le cas des dérivés ou des féminins (abandoner, abandonée, actionaire, anée, collectioner, débatre, etc...). Même si ces propositions ne sont pas encore tout à fait d’actualité, elles devraient, à terme, pouvoir faire avancer notre orthographe vers plus de clarté, sans attenter en rien au sens ou à la prononciation des mots.
Bibliographie :
- DEPP, Note d’information 28, novembre 2016, http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/depp-ortho2016.pdf
- LEGROS G. ; MOREAU M.-L., Orthographe : qui a peur de la réforme ? Fédération Wallonie-Bruxelles, Service de la langue française, Bruxelles, 2012, http://www.languefrancaise.cfwb.be/index.php?keID=tx_nawsecuredl&u=0&file=fileadmin/sites/sgll/upload/lf_super_editor/Docs/Ecrire_le_francais/Guide_ortho_HD.pdf&hash=67d754f31f1924c7023e1262249b004e1c8ab83a
- « Simplifier les consonnes doubles », sous la direction de Claude Gruaz, Éditions Lambert-Lucas, novembre 2013 : http://www.lambert-lucas.com/livre/simplifier-les-consonnes-doubles/.
- Meyer, P. (1905). Rapport sur les travaux de la commission chargée de préparer la simplification de l’orthographe française (Suite). Revue pédagogique, 46(1), 65-79, https://education.persee.fr/doc/revpe_2021-4111_1905_num_46_1_5169