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Être dans le coaltar

Drôles d'expressions

La personne qui, mal réveillée, tente d’expliquer son état d’hébétude, emploie bien souvent des images aériennes et légères : je suis dans le brouillard ou dans les vapes (synonyme argotique de vapeurs).

Cette douceur blanchâtre rappelle les plumes de son oreiller douillet. Mais il arrive parfois qu’on emploie un mot plus étrange pour décrire cet état de demi-sommeil en affirmant qu’on est dans le coaltar.

Avec l’enchaînement du o et du a, et cette terminaison inhabituelle, ce mot est pour le moins déconcertant. Les francophones qui en ignorent l’origine – et parmi eux des auteurs de renom – l’écrivent souvent de manière fantaisiste : coltar (transcription phonétique), coltard (sur le modèle de costard) et même colletard (par analogie avec colleter).

Il s’agit en réalité d’un mot anglais formé de deux termes : coal « charbon » et tar (que l’on retrouve dans tarmac) « goudron ». Apparu dans la langue de Shakespeare à la fin du XVIIe siècle avant que le français ne l’emprunte cinquante ans plus tard, il désigne la matière noire et visqueuse obtenue en distillant la houille. Elle servait à colmater la coque des bateaux et était administrée comme médecine antiseptique ou comme traitement contre le psoriasis. Le coaltar entre encore dans la composition de certains shampoings antipelliculaires ou antipoux.

C’est au milieu du XXe siècle qu’est apparue l’expression qui n’est pas sans nous en rappeler une autre, plus accessible : être dans le cirage. Le cirage, tout comme le coaltar, offre l’image d’une matière noire et collante dont il est difficile de se débarrasser. On est loin de la légèreté des vapeurs et du brouillard.

L’Académie, qui ne goûte guère les mots empruntés à l’anglais, recommande l’expression goudron de houille, bien moins synthétique que coaltar. Dirions-nous certains matins difficiles que nous sommes dans le goudron de houille ? Il n’est pas certain que nous ayons alors les idées suffisamment claires pour changer nos habitudes langagières !

« J’ai émergé sur le parking d’une station essence du côté d’Orléans. Bien dans le coaltar. Ensuquée et baveuse. J’avais du mal à ouvrir les yeux et mes cheveux me paraissaient étonnamment lourds. »

Anna Gavalda, L’Échappée belle, 2001.

 

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