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La naissance du « cool »

Words uncovered

C’est en écoutant le dernier album d’Orelsan, et plus particulièrement la chanson Casseurs Flowter Infinity, que l’on s’est fait la réflexion simple, basique, que voici : c’est fou à quel point le mot cool reste cool. 

En effet, ce mot qui, dès son apparition en français, avait tout du vocable à la mode, fait preuve d’une étonnante longévité. Nos parents disaient déjà cool, nos enfants disent cool et ni les uns ni les autres ne trouvent cela ringard ou décadent, ce qui, pour un mot aussi connoté « dans l’air du temps » (et qui plus est, un anglicisme), est relativement rare.

Premier constat en guise d’amuse-bouche : si le mot cool est cool, il entre dès lors dans la catégorie des « autologismes ». Un autologisme est un mot (ou un groupe de mots) dont la définition s’applique à lui-même. Le mot bref est bref, le mot français est français, le mot horizontal est horizontal, le mot tarabiscoté est tarabiscoté, etc.

À l'inverse, si un mot ne correspond pas à sa propre définition, il est dit « hétérologique ». La plupart des mots sont évidemment hétérologiques à cause, notamment, du caractère arbitraire du signe linguistique. En effet, aussi vrai que le mot chien ne mord pas, le mot long est plus court que le mot court.

Attention, un mot n’est pas toujours intrinsèquement autologique. Il peut le devenir grâce au contexte. Le mot intrus peut l’être dans une liste de verbes, mais pas dans une liste de noms par exemple. Le mot vache ne l’est que quand on l’adresse à quelqu’un. Enfin, le mot lu, avant que vous l’ayez lu, n’était pas autologique mais l’est devenu instantanément grâce à vous.

Le mot cool est, était et demeurera probablement encore longtemps cool.

Pourtant, on le croise en France depuis plus de cinquante ans. Du « jazz cool » de Miles Davis au groupe d’électro parisien récent Salut c’est cool, quatre générations de musiciens trop cools se côtoient.

Qu’est-ce qui explique une telle longévité ?

À l’origine, le mot est emprunté à l’anglais et utilisé dans le sens de « tempéré », « froid » face à l’adversité.

Dans un article intitulé « L’esthétique du cool » pour la revue African Arts en 1973, Robert Farris Thompson avance l’hypothèse que le concept de « cool » serait à l’origine issu de la traduction directe de itutu, mot de la langue yoruba, importé aux États-Unis par la traite des esclaves africains du sud-ouest du Niger. Le mot cool aurait été utilisé ironiquement par les esclaves vis-à-vis de leur condition. Il sera ensuite repris en référence au style de jazz qui fera son succès à la fin des années 1940, notamment inspiré par le jeu plus « détendu » du saxophoniste Lester Young.

Dans un essai paru en Grande-Bretagne en 2000 et traduit par les éditions Autrement, L’esprit cool, deux anthropologues britanniques, Dick Pountain et David Robins, y voient un « défi envers l’autorité… un état permanent de rébellion privée qui ne s’annonce pas par des slogans hurlés, mais se dissimule derrière le masque d’une impassibilité ironique ».

On a peut-être ici un début d’explication de la longévité du mot. En effet, bien que le mot cool, à force d’être employé, ait émoussé sa charge subversive, et bien qu’aujourd’hui on dise cool comme on porte des sweats à capuche, sans que cela ne constitue un réel défi à l’autorité, ce mot possède néanmoins toujours une dimension légèrement désinvolte, qui le distingue du vocabulaire académique ou guindé. C’est donc peut-être son côté « casual » et « détendu » qui donne au mot cool cette patine légèrement effrontée avec laquelle on s’encanaille plus qu’on s’insurge.

En gros, si on continue à dire cool, c’est parce que c’est cool. C’est donc sa dimension autologique qui lui assure peut-être cette étrange longévité.

 

Bibliographie :

Sablayrolles J.-F. & Pruvost J., Les Néologismes, « Que sais-je ? », n° 3674 (4e édition), 2019.

Thompson R. F., « An Aesthetic of the Cool », African Arts, 7(1), 41‑91, 1973.

Jobard T., « Le cool dans nos veines. À la recherche de la coolitude », Sciences Humaines, à l’adresse https://www.scienceshumaines.com/le-cool-dans-nos-veines-a-la-recherche-de-la-coolitude_fr_34856.html

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