v. dérivé de charbon, dans l’expression aller au charbon, travailler dur, bosser.
« Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse avec 500 briques, hein ? Surtout de nos jours ! Le SMIC est en plein chanstique, la TVA nous suce le sang et la Bourse se fait la malle. J’ai calculé j’en aurais à peine pour 5 piges et j’aurais 50 berges. Tu ne voudrais tout de même pas que je retourne au charbon à cet âge-là, non ? Tu ne serais pas vache avec les vieux, des fois ? » Bernard Blier dans Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des canards sauvages, Michel Audiard, 1968.
L’expression « aller au charbon » est apparue début 1900, à Paris. Apparemment, les proxénètes poursuivis par les flics se faisaient engager comme dockers pour décharger les péniches pleines de charbon de la Seine et du canal Saint-Martin. Il faut pourtant attendre 1939 donc 39 ans pour trouver des occurrences de cette expression « aller au charbon » signifiant « travailler ». Alain Rey (auteur du Dictionnaire historique de la langue française) précise qu’il s’agit d’une hypothèse émise par Albert Simonin, écrivain et scénariste français et auteur d’un fameux dictionnaire d’argot : Le Petit Simonin illustré. Dictionnaire d’usage, 1957. Simonin fut dialoguiste, aux côtés de Michel Audiard (Les Barbouzes, 1964), mais aussi pour Georges Lautner (Les Tontons flingueurs, 1963) et toute la clique !
Le verbe charbonner, quant à lui, existe dans le dictionnaire mais n’a pas la même signification. Il veut dire « noircir avec du charbon » dès le XIIe siècle, puis « dessiner au charbon » ou bien « se réduire en charbon » ou encore, dans le jargon, « se ravitailler en charbon (en parlant d’un navire) » (1911). C’est là que nous retrouvons nos chers proxénètes...
De nos jours, le carbone du charbon a disparu de la signification et on reste avec le travail. Il a même pris une autre coloration illicite dans certains cas. Il n’est plus question de proxénétisme mais de trafic de drogue. Le charbonneur est aussi un dealer. Dans tous les cas, on trempe dans un « bizness » un peu borderline.
Réfléchissez-y à deux fois avant de vous lever à 7 heures demain matin
Le travail est souvent placé sous le signe de la pénibilité et de l’asservissement : charbonner évoque les mines de charbon et leur noirceur, et le mot travail vient du latin trepalium, un célèbre instrument de torture. Trimer signifiait, à l’origine, « marcher sans but ou avec effort » et le turbin viendrait du latin turbo qui désigne l’agitation… Il n’y a bien que le discours politique qui soutienne que le travail libère !
CITATION
« Cette vie de rêve, c’est avoir un gosse, une meuf, une Chevrolet
Trop charbonner, une villa, un vélo d’ville, être sous contrat
S’lever à six du mat’ ensuite déposer le fiston
Qui, lui, quand il grandira, profitera de tous mes pistons. »
Damso, « Tueurs », 2017.
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Adapté de l'ouvrage Les mots du bitume, par Aurore Vincenti
De Rabelais aux rappeurs, un petit dictionnaire de la langue de la rue. Avec la préface d’Alain Rey.