C’est au mois de mai que sort chaque année la nouvelle édition du Petit Robert de la langue française, enrichie de nouveaux mots, de nouvelles expressions, de nouveaux sens. Que nous disent ces évolutions sur notre langue ? Qu’elle est toujours aussi vivante, et qu’elle ne cesse de s’adapter au monde qui nous entoure pour nous donner la possibilité d’exprimer au mieux nos réalités.
Mots de société (complosphère, réunion hybride, mégenrer, publics empêchés…), mots de l’environnement (mégabassine, dette climatique, indice de réparabilité…), mots des sciences et technologies (métavers, minage de cryptomonnaies, multivers…), mots de la gastronomie (babka, cougnou, poké bowl, craquelin…), mots des sports et loisirs (parkour, webtoon, wingfoil…), mots de la francophonie (gayolle, infonuagique, klette…) ou encore mots du langage familier (crush, ghoster, mettre une disquette, être en PLS…) ; je vous propose un zoom sur dix de ces nouveaux entrants !
1) complosphère
Le mot sphère, pris dans son sens de « milieu, domaine d’activité », entre depuis deux décennies dans la composition de nombreux mots-valises. Le premier mot de cette série à avoir intégré Le Petit Robert est blogosphère en 2008, suivi par twittosphère en 2016, puis par fachosphère en 2017. Complosphère, qui désigne l’ensemble des personnes qui participent à la diffusion d’idées jugées complotistes sur Internet, reste depuis plusieurs années d’actualité… et s’offre ainsi une place dans Le Petit Robert, après conspirationniste et conspirationnisme (en 2013), et complotiste et complotisme (en 2016). Gageons que ce ne sera sans doute pas le dernier mot de cette série…
2) bassine, mégabassine
Bassine ou mégabassine ? Ces deux mots sont employés pour désigner une même réalité : un immense réservoir d’eau à ciel ouvert utilisé pour l’irrigation des terres agricoles.
Mais le choix de l’un ou de l’autre n’est pas tout à fait anodin. Dans mégabassine, le préfixe méga- n’a pas une valeur multiplicative comme dans mégahertz ou mégaoctet, mais une valeur intensive ; il sert à exprimer l’excès, l’exagération. Utiliser mégabassine plutôt que bassine, c’est donc insister sur le côté démesuré des bassines agricoles… et inclure dans le mot une forme de critique de ce qu’il désigne.
3) minage (de cryptomonnaie)
La mine, c’est le terrain d’où l’on extrait les minéraux ou les métaux précieux ou utiles, par exemple le charbon, les diamants, mais aussi l’argent ou l'or… qui servaient autrefois à fondre des pièces de monnaie !
C’est très probablement sur la base de cette analogie que le mot mining en anglais, traduit ensuite par minage en français, a été employé pour désigner l’opération qui consiste à valider des transactions en cryptomonnaie… et générer de nouvelles unités monétaires.
Ce terme de minage (et les mots de sa famille miner et mineur), relié à une réalité concrète, suffit-il à donner une certaine consistance à une opération entièrement virtuelle, et donc difficile à appréhender pour un grand nombre d’entre nous ?
4) disquette
Il faut avoir au moins une trentaine d’années pour avoir connu ce support de plastique sur lequel on stockait des données informatiques avant l’apparition du CD-Rom, de la clé USB puis du cloud, et que l’on appelait disquette.
Pourtant, ce mot, que l’on aurait pu penser voué à disparaître avec l’objet qu’il désignait, connaît depuis quelques années une nouvelle jeunesse, et on l’entend non sans surprise dans la bouche de la génération Z. Les jeunes générations auraient-elles trouvé l’objet assez ringard pour que son nom puisse aujourd’hui désigner familièrement une formule de drague un peu lourde ?
5) babka
En polonais et dans d’autres langues slaves, babka est le diminutif de baba, qui désigne une vieille femme, une grand-mère.
Mais quel rapport avec le gâteau, me direz-vous ? Avec sa haute couronne torsadée, la babka originelle (comme son cousin le baba, souvent imbibé de rhum) aurait pu évoquer la représentation de la vieille paysanne dans sa jupe d’hiver.
Revisitée au cours du temps, puis arrivée aux États-Unis dans les valises des immigrés juifs au cours du XXe siècle, la babka qui connaît aujourd’hui une grande popularité dans tout l’Occident a changé de forme comme de recette, puisqu’il s’agit d’une brioche tressée, souvent garnie de chocolat. Miam !
6) nasse
Savez-vous ce qu’est, à l’origine, une nasse ? C’est un panier de pêche ! Autrement dit, un piège pour les poissons, dont ils ne peuvent pas ressortir.
Le Grand Robert, le plus grand dictionnaire numérique de la langue française, note par ailleurs pour ce mot le sens métaphorique de « situation difficile dont on a du mal à se tirer », utilisé notamment par Molière dans Les Fourberies de Scapin.
On comprend aisément comment, par glissement de sens, le mot nasse est aujourd’hui utilisé pour désigner l’encerclement de manifestants par un cordon d'agents des forces de l'ordre.
À noter : son usage ayant explosé récemment avec les manifestations en France, ce mot fait son entrée seulement sur Dico en ligne Le Robert, et intégrera la version imprimée du Petit Robert lors de la prochaine édition !
7) parkour
Ceci n’est pas une faute d’orthographe. Le mot parkour, qui désigne un sport plutôt urbain qui consiste à se déplacer en franchissant des obstacles sans matériel, est une déformation volontairement fantaisiste de parcours (du combattant), ce parcours semé d’obstacles que doit accomplir un soldat dans un temps donné.
De manière plutôt surprenante, les personnes qui pratiquent le parkour sont appelées les traceurs et les traceuses, un nom qui semble sans rapport aucun. En fait, « Les traceurs » est le nom d’un groupe d’amateurs de parkour fondé par David Belle, un Français considéré comme l’un des fondateurs de la discipline. Un autre groupe bien connu (dont faisait initialement partie David Belle) a pour nom les… Yamakasi, héros d’un célèbre film qui contribua à la diffusion de ce sport, qui ne fit pourtant son apparition aux Jeux mondiaux de gymnastique qu’en 2022.
8) métavers
Le mot métavers (à ne pas confondre avec multivers, un autre nouvel entrant), qui désigne un univers virtuel persistant en trois dimensions, n’est pas si récent qu’on pourrait l’imaginer. Il présente d’ailleurs une particularité assez rare pour être soulignée : il s’agit d’un mot dont on peut avec certitude remonter au créateur. Spoiler : il ne s’agit pas d’un célèbre GAFAM ! En effet, le mot apparaît en 1992 (d’abord en anglais) sous la plume de l’écrivain américain Neal Stephenson, dans le roman de science-fiction Snow Crash (Le Samouraï virtuel en français). Son action se déroule en grande partie dans un univers virtuel tridimensionnel nommé metaverse, d’après le préfixe meta-, qui signifie « ce qui dépasse, englobe », et le mot universe.
Aujourd’hui, si l’anglicisme metaverse reste utilisé dans des textes en français, c’est la forme métavers, formée en français sur méta- et univers, qui a pris le dessus dans les médias... une bonne nouvelle pour le français !
Quant à l’avenir de cette technologie, momentanément ou durablement éclipsée par l’emballement autour de l’IA générative, c’est là une autre histoire…
9) multivers
Notre univers n'est-il qu'un univers parmi tant d'autres ? Cette idée, qui n’est pas tout à fait nouvelle, remonte à plusieurs siècles, et elle est au cœur de nombreux romans et films de science-fiction.
Cependant, le mot multivers est bien plus récent, puisqu’il est apparu il y a une quarantaine d’années. Avant son apparition, on utilisait tout simplement la locution univers multiples, que l’on retrouve d’ailleurs dans multivers, formé, sur le modèle de l’anglais, à partir du mot univers précédé du préfixe multi-.
Comme le relève l’astrophysicien Aurélien Barrau dans un article publié dans l’Encyclopédie Universalis, « l'idée d'univers multiples a vu son statut évoluer considérablement depuis quelques années : d'une position métaphysique ou d'une image mythologique, elle s'est muée en hypothèse scientifique » (toutefois controversée !) qui « permet de résoudre certains paradoxes fondamentaux de la physique contemporaine ».
Pas étonnant, donc, que le multivers soit devenu un sujet dont on parle de plus en plus, et que le mot, auparavant discret, ait vu son usage exploser ces dernières années… au point de faire son entrée dans Le Petit Robert !
10) bader
Absolument aucun rapport entre ce bader-là, formé en français dans les années 2000 sur l’anglais bad (trip) et le verbe homonyme d’emploi régional bader, apparu près de cinq siècles plus tôt, d’après l’occitan badar (« ouvrir la bouche »), et qui signifie « flâner » et « regarder de manière insistante, admirative ».
Le bad trip, mauvaise expérience qui résulte de l'absorption de substances hallucinogènes, est à l’origine de ce nouveau bader qui signifie familièrement « éprouver de l’inquiétude, de l’angoisse », mais aussi « éprouver de la tristesse, de la mélancolie ». On remarque qu’en matière d’expression de la mélancolie, le français regorge de créativité puisque l’on dispose des expressions broyer du noir, avoir du vague à l’âme, avoir le bourdon, avoir le cafard, avoir le moral dans les chaussettes, avoir le spleen, avoir le blues… Mais l’avantage de bader sur tous les autres, c’est qu’il tient en cinq lettres ! Quand on sait comme la langue familière aime faire court et efficace, on n’est pas très étonné que bader remporte un tel succès.
J’espère que ce top vous a plu ! Et si vous voulez également savoir comment sont choisis les mots du Petit Robert, je vous invite à lire le billet de blog suivant : Comment les mots entrent-ils dans Le Petit Robert ?
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