Élever des poissons rouges dans votre évier ou faire la vaisselle dans l’aquarium ne vous viendrait pas spontanément à l’esprit. Et pourtant… l’étymologie vous y autoriserait !
Car malgré leurs apparentes différences, c’est bien le même mot qui se cache sous évier et aquarium.
Alors quoi, certains mots de la langue française auraient des jumeaux cachés, méconnaissables ? Ce n’est pas loin de la vérité !
Il faut revenir, comme souvent, à l’origine de notre vocabulaire : une grande partie des mots français, on le sait, provient du latin : mais au fil du temps, les mots ont évolué, se sont transformés, si bien qu’on ne reconnaît souvent plus le mot latin dans son descendant français. En parallèle, de nombreux mots ont été eux directement empruntés en latin, en gardant leur forme originelle. C’est notamment le cas du vocabulaire technique ou soutenu. Ainsi, toute une série de mots se retrouvent, par des chemins différents, deux fois dans la langue : c’est ce qu’on appelle les doublets étymologiques. L’un des deux ayant connu un lent processus d’évolution, il ne ressemble souvent plus du tout à son (faux) jumeau !
Reprenons nos histoires d’évier. Le rapprochement sémantique entre ce dernier et le mot aquarium constitue un premier indice : l’on a bien affaire à deux types de contenants d’eau. Au XIXe siècle, le mot évier a déjà le sens que nous lui connaissons : il désigne un bac muni d’une arrivée d’eau et d’une évacuation. Mais il peut aussi, à la même époque, se trouver au sens déjà désuet de « canal d’évacuation, égout ». C’est en effet avec ce sens que le mot connaît sa plus ancienne attestation, au XIIe siècle, sous les formes ewer ou euwier.
Or, d’où provient cet euwier, dont je vous épargne la prononciation en ancien français ? Ce n’est autre que l’évolution phonétique du latin aquārium « réservoir, abreuvoir », tiré de l’adjectif aquārius « qui concerne l’eau ».
On passera ici les détails de cette lente métamorphose, néanmoins, quelques formes voisines nous donnent des points de comparaison : le féminin aquāria, par exemple, a donné l’ancien occitan aiguiera « vase », que l’on retrouve emprunté en français sous la forme aiguière : il s’agit d’un récipient à eau doté d’un bec et d’une anse. De la même famille, on peut relever le verbe aiguer « tremper, mouiller » en ancien français, toujours utilisé au sens d’« approvisionner en eau », et qui provient du verbe latin aquārī, de même sens.
Au milieu du XIXe siècle sont inventés des réservoirs à eau aux parois de verre destinés à accueillir des animaux aquatiques, pour leur étude ou leur observation. Sur le modèle du vivarium, qui existait déjà, on emprunte alors au latin le mot aquarium « réservoir d’eau » pour désigner ce nouvel objet… Mot qui existait donc déjà en français, sous sa forme héritée bien difficile à reconnaître : évier !
Tous ces mots remontent bien sûr au latin classique aqua « eau », qui a lui-même lentement évolué en français pour aboutir à notre « eau ». On peut constater l’ampleur de la transformation : des quatre lettres du mot latin ne s’entend plus qu’un simple « o » ! En ancien français, on trouvait encore les formes intermédiaires egua, euwe, ewe, eaue, etc. Il existe un très grand nombre de variantes dans les langues régionales. La toponymie en a gardé la trace, ainsi dans les noms de lieu en aigue-, aix-, se cachent aussi des « eaux ».
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