Le 21 juin, nous célébrons la musique sous toutes ses formes, de la danse au chant en passant par une myriade d’instruments. J’ai donc voulu dans ce palmarès célébrer la profusion du vocabulaire musical, sa richesse et la diversité de ses origines.
C’est sous le patronage de ses mythiques inspiratrices que je vous invite à venir écouter la mélodie des mots de la musique…
10. Do-ré-mi…
Pour commencer par les fondamentaux, ce n’est pas un, mais huit mots musicaux dont je vous propose l’origine : les huit notes de la gamme ! Tout le monde a déjà fredonné, avec plus ou moins de justesse, do ré mi fa sol la si do… peut-être sans savoir que ces petits mots étranges ont bien un sens : il sont tirés d’un chant religieux en latin, attribué au moine et poète Paul Diacre, et plus précisément du début des vers Ut queant laxis / resonare fibris / Mira gestorum / famuli tuorum / Solve polluti / labii reatum / Sancte Iohannes (« Afin que tes fidèles puissent chanter les merveilles de tes gestes d'une voix détendue, nettoie la faute de leur lèvre souillée, ô Saint Jean. »). L’ut, désuet, a été remplacé par le début de Dominus « Seigneur », plus facile à réciter…
9. Rythme
Pas de musique sans rythme ! Attesté au XIVe siècle sous la forme rithme, le mot nous vient, via le latin rhythmus, du grec ancien rhuthmós, « mouvement régulier, mesure ». Il est dérivé d’une racine signifiant « couler, s’écouler », qui a fourni d’autres mots comme rheûma, « flux, courant », à l’origine de… rhume ! On la retrouve également dans logorrhée, « flux ininterrompu de mots ». Le rythme, ça coule de source, en somme. Et rassurez-vous si vous avez des hésitations sur l’orthographe du mot... au XIXe siècle on l’écrivait encore rhythme !
8. Arpège
L’arpège, c’est le fait d’égrener une à une les notes d’un accord au lieu de les jouer simultanément. Le mot est assez récent en français, il n’apparaît qu’au milieu du XVIIIe siècle. Il cache en outre un instrument de musique bien précis, idéal justement pour égrener des notes… Arpège est emprunté à l’italien arpeggio, « arpège », dérivé du verbe arpeggiare dont le sens premier est « jouer de la harpe » ! On y retrouve bien le mot italien arpa, qui vient, comme le français harpe, du latin tardif harpa « harpe ». Ce dernier est d’origine germanique : selon l’auteur italien Venance Fortunat (évêque de Poitiers au VIe siècle), ce furent les Germains qui introduisirent l’instrument et son nom en Italie.
7. Ballade
Selon la définition du Petit Robert, on appelle ballade un « petit poème de forme régulière, composé de trois couplets ou plus, avec un refrain et un envoi. » Par extension, la ballade est aussi le morceau de musique accompagnant le poème. Son origine est médiévale, il s’agit, au départ, d’une chanson à danser : le mot provient de l’occitan ballada « danse, chanson à danser », d’après le latin ballare, « danser » (d’où aussi bal). Si l’on hésite parfois sur le nombre de L que contient le mot, par confusion avec son homophone balade, ce n’est pas si grave : se balader, au sens de « se promener », est bien dérivé de la ballade musicale, en référence au mouvement constant des troubadours, saltimbanques et autres… baladins !
6. Danser
On vient de le voir, il existait en latin un verbe ballare, « danser », à l’origine des mots de la famille de bal… Mais alors, pourquoi ne va-t-on pas baller en écoutant de la musique ? En l’occurrence, les mots aussi jouent aux chaises musicales : on l’aura compris, baller, bien attesté au Moyen Âge, a été remplacé par son concurrent le verbe danser. Celui-ci est probablement germanique, et remonterait à un verbe francique *dansōn, « tirer, s’étirer. » Il a également pu être influencé par un verbe bas-latin *deantiare, « faire un mouvement vers l'avant », doublet de *abantiare (qui donne notre verbe avancer), comme le souligne le Grand Robert.
5. Chanter
Le verbe chanter désigne l’action du plus ancien des instruments de musique… la voix ! Il est hérité du latin cantāre, « chanter », qui peut aussi avoir un sens magique : on trouve toujours ce sens en français, par exemple dans enchantement/enchanter, et leur doublet savant incantation/incanter. En latin, cantāre est lui-même un dérivé de canere, qui signifiait « chanter », et également « prédire, prophétiser ». On trouve la même racine dans le mot carmen, « poème, chant », également teint d’un soupçon de magie, car c’est l’origine du mot charme. On l’entend, le chant porte dans son étymologie sa capacité à envoûter…
4. Refrain
Pas si doux, le refrain ! Cette « suite de mots ou de phrases qui revient à la fin de chaque couplet d’une chanson ou d’un poème », selon la définition du Petit Robert, a une origine presque brutale : refrain est d’abord le participe passé du verbe ancien français refraindre, du latin *refrangere, déformation de refringere, qui signifie… « casser, briser » ; car le refrain « brise », après chaque couplet, la continuité du morceau ! Comme le note le Grand Robert, le sens originel se retrouve lorsque l’on parle, de façon aujourd’hui vieillie, du « refrain des vagues », pour désigner le rejaillissement des flots qui se brisent.
3. Guitare
La guitare, instrument à cordes incontournable dans bien des genres musicaux, nous est parvenue de la péninsule Ibérique dès le Moyen Âge. Elle avait déjà fait auparavant un long voyage, au carrefour des civilisations ! Au XIVe siècle en effet, le mot arrive en français via l’espagnol guitara, lui-même emprunté à l’arabe andalou qīthārah. Derrière ce mot arabe se cache simplement le grec le grec kithárā, « lyre, cithare », dont l’origine est... inconnue ! Mais comme le voyage ne s’arrête pas là, le grec kithárā est également passé au latin, sous la forme cithara. Cette dernière a donné deux mots français, la cithare, forme savante empruntée, et la cistre, évolution du mot latin, qui désigne un instrument similaire. La guitare dissimule donc presque autant de langues qu’elle n’a de cordes, et son apparente simplicité recèle un vrai mystère...
2. Harmonie
Dans une conception classique, la musique peut se définir comme une quête d’harmonie, c’est-à-dire la combinaison, l’accord parfait des sons comme source de beauté et d’agrément. On trouve à l’origine d’harmonie sans doute un des plus beaux mots de la langue grecque, harmoníā, qui signifie d’abord « assemblage ». Les Grecs vénéraient même une déesse Harmonia, divinité de la concorde. Selon certains philosophes grecs, les mouvements du cosmos entier étaient régis par une forme de musique céleste, l’harmonie des sphères. On notera que harmonie provient de la même racine ar-, « joindre, assembler » que le français art.
1. Musique
Quant au mot musique lui-même, il ne cache pas son origine mythique. Apparu en français au xiie siècle, au sens de « art de combiner les sons musicaux », il constitue un emprunt savant au latin musica, « musique ». Ce dernier est l’adaptation latine du grec ancien mousikḗ, (sous-entendu, mousikḗ tékhnē), littéralement « l’art des Muses ». Mousikḗ est simplement le dérivé de Moûsai, « les Muses », filles de Zeus qui président aux arts, au premier rang desquels la musique. C’est la muse Euterpe « la Réjouissante », qui avait en charge la musique : c’est donc sous son patronage que nous concluons ce palmarès.
Et si vous avez suivi le rythme de ma ballade étymologique, on peut dire que maintenant, vous « connaissez la musique... »