Posseder une chose, en disposer. Il y a plusieurs manieres de
tenir & de posseder. Il ne faut pas jetter à ses pieds ce qu'on
tient à la main, se dessaisir d'une chose qu'on possede. Il ne
tient pas son argent chez luy, il le
tient caché, il le
tient en lieu seur. C'est un avare qui
tient bien ce qu'il
tient, il ne laisse rien eschapper de ses mains. Il
tient cette terre par ses mains, il la fait valoir. Il s'est humilié jusqu'à luy
tenir l'estrier. Il
tient toûjours le bon bout pardevers luy.
Tenez, je vous donne cela.
TENIR, signifie aussi, Avoir dans sa main. Le Roy dans les ceremonies
tient un sceptre à la main. On peint Hercule qui
tient une massuë, Pallas une lance, Diane un arc, Mercure un caducée. Je luy ay fait
tenir ces lettres en main propre.
TENIR, signifie aussi, Posseder par les mains d'autruy, occuper des terres & des seigneuries. Les Hollandois
tiennent plusieurs places importantes dans les Indes. Les Espagnols
tiennent, occupent toute l'Amerique.
TENIR, signifie aussi, Posseder, se rendre maistre par la force. Cette armée
tient les ennemis enfermez dans les montagnes. Je le
tiens prisonnier, j'en suis maistre. S'il donne dans ce panneau, je le
tiens, il est pris, il est à moy.
TENIR, signifie encore, Posseder par la grace & le bien-fait d'autruy, ou en son nom. Nous
tenons de Dieu nostre estre, nostre vie & nostre fortune. Le Roy ne
tient son Royaume que de Dieu & de son espée ; il le
tient en souveraineté. Ce Duc
tient son Duché de l'Empire, il en releve. On
tient les terres en plein fief, on les
tient à foy & hommage, en roture, en franc alleu, par engagement. On
tient les maisons à loyer, à bail emphyteotique. Ce Traittant
tient les Fermes des Aides, des Gabelles. C'est un ingrat qui
tient tout de moy. On
tient les Benefices en titre, ou en commende. Il est deffendu de les
tenir en confidence. Il
tient cette grace des bienfaits du Roy. Il ne veut dependre ni rien
tenir de personne.
TENIR, signifie aussi, S'estendre, occuper de la place. Cette riviere
tient trois lieuës de large à son emboucheure. Les armées Ottomanes
tiennent cinq ou six lieuës de pays. Les ennemis
tiennent la campagne. Il y avoit un embarras qui
tenoit toute la ruë. Les corps condensés
tiennent moins de place. Cet homme
tient tout un corps de logis : celuy-là ne
tient, n'occupe qu'une chambre.
TENIR, signifie aussi, Arrester, rendre ferme, tant à l'actif, qu'au passif, & au neutre. Les Sergents
tiennent ce prisonnier au cul & aux chausses, ils le
tiennent au collet. Il le
tient à la gorge. Ils se
tiennent aux cheveux. C'est un bon cavalier, qui se
tient ferme sur les estriers. Un Pedant se
tient aux crins, au pommeau. Il n'a qu'à se bien
tenir. Cela
tient à chaux & à ciment. C'est un libertin qu'il faut
tenir de court.
On dit en Fauconnerie,
tenir à mont, lors que l'oiseau se soustient en l'air, en attendant qu'il descouvre quelque chose.
TENIR, signifie encore, Avoir quelque liaison, quelque attache. Le sable sec ne
tient point, n'a point de consistence ferme. Cette galerie
tient au principal corps de logis. Sa maison
tient à la mienne, est joignant. Son espée ne
tient point au fourreau, il est toûjours prest à degaisner. Sa soutane ne
tient qu'à un bouton, il est prest à la quitter. Je sçay bien ce qui le
tient, ce qui l'empêche de conclurre. Nostre vie ne
tient qu'à un filet. Il ne
tient pas à moy ni à l'argent que cette affaire ne se fasse. Il faut se
tenir au gros de l'arbre, s'attacher au parti le plus juste.
TENIR, se dit aussi figurément en ce sens, des liaisons morales, ou domestiques. Cette famille
tient à celle-là par parenté, par alliance. Leur ancienne amitié les a
tenus toûjours bien unis. Cet homme ne
tient plus au monde que par l'amour qu'il a pour sa femme. Les Juifs se
tiennent tous par le cul comme des hannetons. Il ne faut pas se
tenir à peu de chose, quand on trouve un marché avantageux. Il ne
tient à rien qu'il ne se marie. Il a
tenu à peu de chose qu'ils ne se soient esgorgez. Un arrest portant note d'infamie
tient comme teigne, comme poix, elle ne se peut effacer. A cela ne
tienne que nous ne soyons bons amis. Cette Loy ne
tiendra pas, elle sera bientost abrogée.
TENIR, signifie aussi, Demeurer fixe & ferme en un lieu. Il faut qu'une sentinelle se
tienne fixe au lieu où on l'a posée. Les valets se
tiennent à la porte dans la sale pour attendre leur maistre. C'est un homme qui se
tient, qui loge au bout du monde. Il
tient un tel logé chez luy en pension, à son service. Quand on est bien en un endroit, il faut s'y
tenir. Il s'est
tenu coy dans sa maison pendant les troubles. Ce cavalier se
tient bien à cheval, est ferme sur les estriers.
TENIR, signifie aussi, S'arrester à quelque chose, en demeurer là. Il faut qu'un Chrestien s'en
tienne à l'Evangile, à la Tradition. Il ne faut pas toûjours disputer, il faut bien s'en
tenir à quelque chose, aux principes. Je m'en
tiens, je m'en rapporte à ce que diront des arbitres. Il s'en est
tenu à la sentence, il n'a point appellé. Il a renoncé à la succession de son pere, il s'est
tenu à son legs, à sa donation. Il avoit gagné cent mille francs au jeu, s'il eût été sage, il s'en fust
tenu là, il s'en fust retiré. Cet homme a dêjà fait une grande fortune, mais il ne s'en
tiendra pas là, il la poussera plus loin.
TENIR, signifie encore, Se deffendre contre quelque attaque. Cette place a
tenu long-temps. En cette saison on ne sçauroit
tenir à la mer. On n'a pû tenir au vent, il a fallu relascher. Les ennemis n'ont pû
tenir contre les Mousquetaires. Cette place
tient pour la France, celle-là pour l'Espagne, elles
tiennent differens partis. Ce Gouverneur a
tenu bon dans la place, il s'est bien deffendu.
TENIR, signifie aussi, Participer, avoir quelque chose de commun avec quelqu'un. Les garçons
tiennent du pere, & les filles de la mere, ils leur ressemblent de visage, ou d'humeur. Cet homme ne
tient rien des vices de la nation. Il
tient de Saturne, ou de Venus, il est sujet aux influences de ces Planetes. Les mulets
tiennent de l'asne & du cheval. Les brugnons
tiennent de la pêche & de la prune. Le verd
tient du jaune & du bleu, se fait du meslange de ces deux couleurs.
TENIR, se dit aussi en parlant des lieux d'assemblées, & de ceux qui y president. Durant que le Concile
tenoit à Trente. Le marché
tient tous les Mecredis & les Samedis. La Foire ne
tient plus. L'Audience
tient tous les matins dans les Chambres du Palais. C'est un tel President qui
tient le bureau. C'est le Lieutenant qui
tient le siege. Ce Juge est allé
tenir ses assises. On a
tenu le Chapitre sur cette affaire. On
tient les Estats en Bourgogne, en Bretagne & en Languedoc. Le Pape
tient Chapelle aux bonnes Festes ; il a
tenu un Consistoire, un Conseil secret.
TENIR, signifie aussi, Amuser, consommer du temps. Ce plaidoyé a
tenu trois Audiences. Il m'a
tenu deux heures au soleil à me conter son procés. On ne finiroit point avec luy, si on luy vouloit
tenir plaid.
TENIR, se dit aussi de la contenance, de la posture, de la situation, de la maniere dont les choses sont disposées. Il se faut
tenir à genoux, les mains jointes dans l'Eglise, teste nuë & debout devant les Princes. Un brave ne se doit pas
tenir les bras croisez, quand les autres se battent. Il
tenoit la lance en arrest. La honte fait
tenir la veuë baissée. Ce maistre
tient ses gens fort bas, fort humiliez, il les
tient en bride, en haleine, alerte. Cela
tient les choses en balance. Cette place
tient toute la Province en eschec. Les ennemis
tenoient bonne contenance. Il faut se
tenir clos & couvert en hiver, & en esté se
tenir faischement & proprement.
TENIR, signifie encore, Faire executer quelque chose. Les braves sçavent bien faire
tenir les paroles qu'on leur a données, les promesses qu'on leur a faites. La Cour enjoint aux Juges inferieurs de
tenir la main à l'execution de ses reglements. Cet homme ne
tient compte de ce qu'on luy dit, il n'execute rien de ce qu'on luy commande.
TENIR, se dit aussi en parlant de l'employ de plusieurs professions. Un Greffier
tient la plume, escrit ce qui est prononcé. On dit aussi, que le Procureur General
tient la plume, pour dire, qu'il donne des conclusions par escrit. On dit qu'un Commis
tient la quaisse, qu'il
tient la bourse, qu'il sçait
tenir les livres ; qu'un Marchand
tient magasin,
tient boutique,
tient la banque ; qu'un Maistre d'escrime & de danse
tiennent sale ; qu'un autre
tient auberge, chambre garnie, Berlan, Academie. On dit aussi, qu'un homme
tient son mesnage, lors qu'il est chef de famille, qu'il a servante ou valets qui luy mettent son pot au feu. On dit aussi, qu'un homme
tient registre de tout ce qu'on fait, pour dire, qu'il remarque tout ce qui se passe, & qu'il s'en souvient ; qu'il
tient bien sa partie, qu'il
tient bien son coin en une compagnie, pour dire, qu'il s'y rend considerable, qu'il sçait parler à propos, & soustenir la conversation : qu'un Commis n'a pas
tenu compte à son Maistre de telles & telles parties.
TENIR, a quelquefois la même signification que ses composez : & premierement, Contenir, enfermer dans sa capacité, servir de mesure. Le muid de bled
tient 12. septiers, le septier 4. minots. Il
tient bien de la malice dans la teste d'une femme. Cette cave ne peut
tenir que tant de muids de vin. Cette histoire
tient tout un volume. Les indiscrets ne peuvent
tenir leur langue, se contenir. On ne peut se
tenir de rire, en voyant les sottises des hommes.
TENIR, signifie aussi, Retenir, garder. La terre glaise
tient l'eau, ne se seche pas aisément. Ce pot est feslé, la liqueur ne
tient point dedans. Ce meuble
tient un gage pour plus qu'il ne vaut. Il
tient cet homme en prison par animosité, pour peu de chose.
TENIR, signifie aussi, Entretenir, avoir à ses gages. Ce Prince
tient des Ambassadeurs dans toutes les Cours estrangeres ; il
tient des espions, des pensionnaires par tout. Ce desbauché
tient une fille en chambre, il l'entretient. Ce Prince
tient bonne garnison dans cette place, il
tient toûjours des trouppes sur pied. Ce Seigneur
tient beaucoup de valets à ses gages.
TENIR, signifie encore, Maintenir, soustenir. La clef est ce qui
tient toute la voute. La severité est ce qui
tient les soldats dans le devoir, qui maintient la discipline.
TENIR, se dit aussi en matiere de jeux. On dit à la paume, qu'un homme
tient le jeu, quand il est du costé de la grille pour recevoir & joüer le service. On dit qu'il
tient les cartes, quand il a la main, quand c'est à luy à battre, & à donner. Cet homme
tient un Occa, une Bassette, donne à joüer à ces jeux. On dit aussi, qu'un homme
tient le dé, quand c'est à luy à joüer. On le dit aussi de celuy qui parle dans une compagnie. On dit aussi, qu'il
tient jeu, lors qu'il ne quitte point, qu'il donne la revanche, qu'il demeure d'accord de joüer ce qu'on propose, ce qu'on met sur la carte, ou sur le jeu. Il
tient tout ce qu'on veut joüer. On dit aussi au Here, Je m'y
tiens, pour dire, Je ne veux point changer. On dit aussi,
Tenir à un tournoy.
TENIR, en Medecine, se dit aussi de l'estat des malades. Son accés de fiévre le
tient. Sa fureur ne le
tient que par intervalles. Cette drogue
tient le teint frais. Le veau
tient le ventre libre. Le regime de vivre
tient les gens en santé.
TENIR, se dit aussi
en Musique. Les enfants, les femmes sont propres à
tenir le dessus. Les Chantres
tiennent la basse. Cette partie doit
tenir le tacet en cet endroit-là. On dit aussi
tenir, quand on continuë à joüer, ou à chanter sur une note, tandis qu'une autre partie en parcourt plusieurs. Il faut
tenir sur cette touche, faire une tenuë.
TENIR, se marie aussi avec plusieurs mots qui font des phrases particulieres.
Tenir sur les fonts, se dit des parreins & marreines qui presentent un enfant au Baptême. On dit aussi des absens dont on a beaucoup parlé en une compagnie, & le plus souvent odieusement, qu'on les a bien
tenus sur les fonts.
On dit aussi,
Tenir la mer, pour dire, Demeurer en mer.
Tenir au vent, pour dire, luy resister.
On dit qu'un homme a
tenu tels & tels propos, qu'il
tient des discours desavantageux de quelqu'un, qu'on luy fera
tenir un autre langage, en parlant de ce qu'il a dit.
On dit qu'un voyageur a
tenu une route, pour dire, qu'il a suivi un tel chemin.
On dit aussi, qu'un homme en
tient, qu'il est blessé de quelque coup, qu'il a receu quelque perte notable en procés, en taxes, ou en autres accidents ; qu'il en
tient, quand il est devenu amoureux, quand il a trop beu, quand il a gagné quelque vilaine maladie.
On dit aussi d'une chose, qu'elle
tient lieu d'une autre. Cette confiscation qu'on luy a donnée luy
tiendra lieu de recompense. Il a un oncle qui luy
tient lieu de pere. Ces presens
tiennent lieu d'argent. On dit encore, Je vous suis bien
tenu de vostre bon conseil, pour dire ; Je vous en suis fort obligé.
On dit aussi,
Tenir table, pour dire, Donner à manger, faire bonne chere, & y recevoir les gens de dehors. On dit aussi,
Tenir table, pour dire, Demeurer long-temps à table.
TENIR, se dit figurément en choses spirituelles & morales, des passions & mouvements de l'ame. Cette affaire luy
tient fort au coeur, le passionne fort. Il
tiendra long-temps en sa memoire cette injure. Son amour le
tient fort en cervelle. Il n'a pas
tenu son courage, son coeur, sa colere, son ressentiment, il s'est relasché, il s'est appaisé. Un Poëte ne reüssit que quand sa verve, quand sa bonne humeur le
tient. Il faut qu'un Auteur de Romans
tienne long-temps l'esprit en suspens.
On le dit aussi des pensées, des opinions. Les Indiens
tiennent la metempsycose. Les Saducéens ne
tenoient pas l'ame immortelle. Il n'y a que les Chrêtiens qui
tiennent la verité, la saine Religion. Ce pecheur ne
tient compte de s'amender, de son salut. Je
tiens cela pour fait. Cette nouvelle est
tenuë pour certaine, on la
tient de bon lieu. Je
tiens cette faveur pour receuë. Je vous
tiens pour excusé. On l'a
tenu long-temps pour mort. Je me
tiens seur de cette affaire. Les Dominiquains
tiennent pour St. Thomas, & les Cordeliers
tiennent pour Scot, c'est à dire, suivent leurs opinions. Il prevoit qu'on luy objectera telle chose, il se le
tient pour dit. Il
tient cet affront au dessous de luy. Il a esté obligé à l'Audience de declarer qu'il
tenoit cette femme pour femme de bien & d'honneur.
On dit aussi, qu'un Prince
tient les resnes de l'Empire, qu'un Ministre
tient le timon des affaires, pour dire, qu'ils gouvernent l'Estat. Je
tiens à honneur, à faveur un tel employ, un tel commandement.
TENIR, se dit aussi à l'esgard des rangs & des dignitez, du lieu qu'on occupe. L'homme
tient le premier lieu entre les animaux. Cet homme
tient le haut bout, la premiere place en quelque lieu qu'il se trouve. C'est un homme altier, qui sçait bien
tenir son rang, qui
tient bien sa morgue, sa gravité, son serieux, il se
tient sur son quant à moy. La vertu
tient le milieu à l'égard des deux extremitez.
TENIR, se dit proverbialement en ces phrases. Serrez la main, & dites que vous ne
tenez rien, se dit en derision à ceux qu'on veut frustrer de l'attente de quelque chose. Autant peche celuy qui
tient le sac, que celuy qui met dedans, ou, Autant vaut celuy qui
tient le veau, que celuy qui l'escorche, pour dire, que les complices d'un crime sont aussi punissables que l'auteur. On dit aussi, Il fait bon aller à pied, quand on
tient son cheval par la bride. On dit aussi, qu'on
tient le loup par les oreilles, quand la possession d'une chose ne nous est gueres asseurée. On dit qu'un homme se
tient mieux à table qu'à cheval, pour dire, que sa principale qualité est d'être goinfre. On dit qu'une personne se
tient droite comme un cierge, comme un eschalas, pour marquer une grande affectation de se tenir droit, ou d'orgueuil, ou de gravité. On dit qu'il n'y en a point de plus empêché que celuy qui
tient la queuë de la poesle, pour dire, que ceux qui travaillent effectivement sont plus embarrassez que ceux qui regardent faire. On dit aussi, Il vaut mieux
tenir que querir, pour dire, que la possession actuelle vaut mieux que la pretention. On dit aussi, qu'une chose ne
tient ni à fer ni à clou, pour dire, qu'il ne
tient qu'à de l'argent. On dit aussi, Qui veut
tenir nette sa maison, n'y mette ni femme, ni Prestre, ni pigeon. On dit aussi, qu'un homme
tient un autre le bec en l'eau, pour dire, qu'il l'amuse, qu'il le
tient en suspens, qu'il le
tient au filet, qu'il le
tient en laisse. Un Tailleur dit qu'il ne luy est resté d'une estoffe non plus qu'il en
tiendroit dans son oeuil. On dit aussi, qu'un homme
tient l'espée dans les reins à quelqu'un, qu'il luy
tient le poignard à la gorge, pour dire, qu'il le presse vivement de faire une chose à laquelle il a de la repugnance. On dit,
Tenir pied à boule, pour dire, Estre assidu à un travail, ne point desemparer d'un lieu.