Travailleur, dégagisme, abracadabrantesque... Choisis délibérément, employés à l'improviste ou totalement inventés, certains mots marquent durablement le discours des femmes et des hommes politiques français. Qu'ils soient surprenants, brutaux, décalés, peu connus ou utilisés mal à propos, ils ont tous pour point commun d'être largement repris dans les médias et commentés à l'infini. De la chienlit du général de Gaulle au perlimpinpin d'Emmanuel Macron, voici dix mots qui prouvent que le lexique des politiques n'en finit pas de nous étonner.
10. Impétrant
En 2017, l’usage du mot impétrant par Arnaud Montebourg sur les plateaux télé ne passe pas inaperçu. Dérivé d’impétrer, du latin impetrare « obtenir », impétrant est un terme de droit qui désigne la personne qui obtient quelque chose de la part d’une autorité compétente à la suite d’une requête. Or, le politicien l’emploie à propos des deux derniers candidats à la primaire socialiste. Le linguiste Alain Rey analyse dans Libération : « Je pense qu’il a voulu trouver un mot que les gens ne connaissaient pas et qui faisait savant... Il a voulu utiliser un mot pour son effet, mais sans le maîtriser complètement. »
9. Câblé
Invité du journal télévisé en avril 1985, François Mitterrand est interrogé sur différents mots du langage des jeunes. Le verlan chébran en fait partie. « Ça veut dire “branché”, mais c’est déjà un peu dépassé, vous auriez dû dire câblé » répond fièrement le président. En effet, la télévision par câble représentant à l'époque une grande promesse de modernité, câblé a pris familièrement le sens de « qui est à la mode, au courant des dernières tendances ». Cet emploi disparaîtra très rapidement, les mots et expressions signifiant « à la mode » étant eux-mêmes particulièrement tributaires des effets de mode.
8. Travailleur
« Travailleuses, travailleurs, on vous ment, on vous spolie ! » Celles et ceux qui ont vécu les élections présidentielles de 1974 à 2007 savent que ces mots, souvent caricaturés par les humoristes, sont ceux d’Arlette Laguiller, première femme à se présenter à la magistrature suprême. La porte-parole de Lutte ouvrière est alors la seule candidate dont les professions de foi s’adressent précisément à la fraction de l’électorat dont elle veut défendre les droits, tandis que ses opposants emploient des appellatifs plus consensuels tels que « Françaises, Français » ou « Mes chers compatriotes ».
7. Dégagisme
En 2017, dans une tribune intitulée « Valls valse, encore une victoire du dégagisme », Jean-Luc Mélenchon se réjouit de la défaite de l’ex-Premier ministre Manuel Valls à la primaire socialiste. Avec ce néologisme, le candidat du Front de gauche désigne le rejet de la classe politique en place. Mais s’il contribue à en faire l’un des mots marquants de la décennie, il n’en est pas le créateur. C’est lors du Printemps arabe en 2011 que dégagisme apparaît, en référence à l’injonction « Dégage ! » lancée lors des manifestations tunisiennes hostiles au président Ben Ali.
6. Big bang
« Ce big bang politique auquel j’aspire » : c’est une citation de Michel Rocard qui illustre l’emploi métaphorique de big bang dans le Petit Robert. La petite phrase est prononcée lors d’un rassemblement du Parti socialiste en 1993, dans un discours qui appelle à une reconfiguration complète de la gauche. Avec cette image cosmologique, l’ancien Premier ministre marque durablement l’histoire du parti. Mais l’incidence est aussi linguistique : dans les mois qui suivent, big bang est utilisé à toutes les sauces, et son emploi au sens de « bouleversement » est aujourd’hui très courant.
5. Perlimpinpin
Lors du débat qui l’oppose à Marine Le Pen avant le second tour de l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron qualifie de « poudre de perlimpinpin » les mesures promises par sa rivale pour lutter contre le terrorisme. La poudre de perlimpinpin, c’est un produit inefficace que les charlatans vendaient comme un remède miracle et, par extension, une proposition trompeuse ou illusoire. L’origine du mot perlimpinpin est obscure ; il s’agit probablement d’une formation onomatopéique. Toujours est-il que l’expression un peu vieillie marque les esprits, à tel point que perlimpinpin est élu mot de l’année lors d'un vote proposé par Le Robert sur les réseaux sociaux.
4. Bravitude
En janvier 2007, Ségolène Royal se rend sur la Muraille de Chine sous l’œil attentif des médias. Cela fait quelques semaines que la socialiste est officiellement désignée comme candidate à la prochaine élection présidentielle. Face aux journalistes, elle improvise : « Comme le disent les Chinois, qui n'est pas venu sur la Grande Muraille n’est pas un brave. Qui va sur la Grande Muraille conquiert la bravitude ». Si « on a le droit d'inventer des mots » comme le précise Alain Rey, les opposants de la candidate ne manquent pas de souligner cette erreur de vocabulaire, le substantif correspondant à brave n’étant pas bravitude mais bravoure.
3. Karcher
Le mot karcher, du nom du fondateur de la marque Kärcher, désigne couramment un nettoyeur qui projette de l’eau sous forte pression. Le mot fait la une des journaux en 2005, après la mort d’un enfant de 11 ans à La Courneuve, tué par deux balles perdues. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, promet de s’attaquer à la délinquance des banlieues : « On va nettoyer au karcher la cité des 4 000 ! ». Cette déclaration, rapportée par une journaliste du Monde, choque l’opinion par sa brutalité. Le ministre réitère néanmoins quelques jours plus tard, soutenant face aux caméras que « nettoyer au karcher est un terme qui s’impose ».
2. Chienlit
« La réforme, oui ; la chienlit, non ! ». C’est par cette phrase devenue historique que le général de Gaulle ouvre le Conseil des ministres du 19 mai 1968, en référence aux évènements en cours. Peu connu, le mot chienlit est formé de chier, en et lit. Il a désigné un personnage de carnaval puis une mascarade tumultueuse avant de prendre le sens de « désordre, pagaille ». Aussitôt raillée, la formule du président est réutilisée à son encontre sur des centaines d’affiches posées par les manifestants. Sous une silhouette stylisée reconnaissable à son nez et à son képi, on peut lire la légende « La chienlit, c’est lui ».
1. Abracadabrantesque
Le 21 septembre 2000, Jacques Chirac est interrogé sur une affaire de malversations à laquelle il serait mêlé. « Une histoire abracadabrantesque », rétorque-t-il. Le mot surprend. Certains pensent même qu’il s’agit d’une invention, mais il n’en est rien. Attesté depuis le XIXe siècle, il se rencontre notamment dans un poème de Rimbaud. C’est un dérivé d’abracadabrant, qui vient d’abracadabra, formule magique d’origine obscure. Et si abracadabrantesque a exactement le même sens qu’abracadabrant, sa longueur lui confère une valeur encore plus expressive et emphatique, ce qui n’est certainement pas étranger au choix du président.
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