La langue française s’enrichit continuellement de mots nouveaux. Mais saviez-vous que le sens des mots « anciens » était, lui aussi, mouvant ? Virus, climat, biberon, hôpital… Le sens que l’on attribue aujourd’hui à certains mots est parfois très éloigné de leur signification originelle. Découvrons quelques-unes de ces histoires surprenantes.
10. climat
Levez les yeux vers le ciel, car c’est là-haut que se trouve l’étymologie de climat ! En effet, ce terme de géographie a été emprunté à un mot latin qui signifiait « inclinaison du ciel ». En français, jusqu’au XVIIIe siècle, climat désigne d’abord une zone géographique définie selon sa position par rapport au soleil et ses conditions atmosphériques. Du XIVe au XVIe siècle, le mot a également été utilisé pour désigner une région ou un pays, et les voyageurs parcouraient ou visitaient donc différents climats ! Ce sens s’est aujourd’hui quelque peu éclipsé et ne subsiste que dans certaines locutions comme sous ces climats ou dans nos climats.
9. hôpital
Le sens premier d’un mot se trouve parfois dans son orthographe ! Le mot hôpital est en effet emprunté au latin hospitalis qui signifie « relatif aux hôtes ». Car hôpital désignait à l’origine une institution de charité, un établissement destiné à l’accueil des personnes démunies ; il était donc lié au concept d’hospitalité (mot qui vient aussi, d’ailleurs, du latin hospitalis). Ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle qu’hôpital se spécialise dans le domaine médical et commence à désigner un établissement dispensant des soins à des personnes malades ou blessées.
8. conflagration
Issu du latin conflagratio, le mot conflagration évoque à l’origine un incendie dévastateur, un véritable brasier ! Ainsi, Jules Verne écrit dans Michel Strogoff : « La conflagration de la bourgade s’opérait avec une violence extraordinaire. » À partir de la Révolution française, conflagration s’emploie de manière figurée à propos d’une manifestation soudaine ayant un grand retentissement ; un sens qui existait déjà dans le mot déflagration mais s’en trouve alors intensifié. Au XXe siècle, les deux guerres mondiales viennent greffer à conflagration le sens de « conflit » en raison de la ressemblance entre les deux mots. Qui aurait cru qu’un changement de sens pouvait se jouer à quelques lettres ?
7. trousse
Vous ne le croirez peut-être pas, mais votre vieille trousse de classe a des origines paysannes ! À l’origine, le mot trousse vient du verbe trousser signifiant « mettre en faisceau, en botte », comme dans trousser du foin. Imaginez donc nos ancêtres ramassant le foin et le ficelant dans de grosses trousses de toile. C’est le sens de « contenant » qui a perduré, d’abord appliqué à une valise, à un étui puis, finalement, à la fin du XIXe siècle, à l’étui dans lequel les écoliers rangent leur petit matériel de classe. Passer du transport de foin au rangement des gommes et des crayons, c’est ce qui s’appelle un rebondissement sémantique !
6. biberon
Encore un mot du quotidien dont le sens premier vous étonnera ! Dérivé du latin bibere qui signifie « boisson », biberon signifie d’abord « bec, goulot d’un vase ». Le mot désigne ensuite, à partir du XVe siècle, une personne qui aime boire, voire un « ivrogne qui boit par excès »1 selon la définition du lexicographe Antoine Furetière au XVIIe siècle (on vous avait prévenu, les mots réservent parfois des surprises !). Parallèlement, biberon désigne un petit récipient à bec servant à faire boire les malades. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle qu’il commence à être employé pour nommer la petite bouteille munie d’un bec (remplacé plus tard par la tétine) destinée à faire boire un enfant. Qui aurait cru que ce compagnon des nuits blanches avait une telle histoire ?
5. virus
Il arrive que le sens d’un mot évolue au gré des découvertes scientifiques. Issu du latin virus signifiant « suc, venin, poison », ce terme apparaît en français au XVe siècle, d’abord pour désigner une substance organique susceptible de transmettre une maladie, comme le pus ou la salive. Peu ragoûtant, n’est-ce pas ? Au XVIIe siècle, le célèbre Dictionnaire universel de Furetière définit encore le virus comme le « pus d’une plaie contagieux et corrosif ». Ce n’est que bien plus tard, au terme de nombreuses études scientifiques, que naîtra la définition moderne du mot virus. Et pour les virus informatiques, il faudra attendre encore un peu !
4. strapontin
Bien loin des sièges à abattant du métro ou des théâtres, le mot strapontin vient du nom italien strapuntino qui signifie « petit matelas » ! Probablement apporté en français par les matelots, dans le contexte du commerce maritime de Gênes vers la Provence, strapontin désigne au XVIe siècle une sorte de couche que l’on peut déplacer : il a alors le sens de « hamac, lit suspendu ». Ce sens évolue ensuite vers celui de « siège d’appoint à abattant », placé à l’avant d’un véhicule et, plus tard, dans une salle de spectacle. En prenant les transports le matin, vous penserez désormais aux matelots du XVIe siècle !
3. veule
Il s’agit sans aucun doute du mot le plus littéraire de cette sélection. L’adjectif veule tire son origine du latin volus qui signifie « volant, léger » et, à l’image de son étymologie, tous ses anciens sens se sont, pour ainsi dire, volatilisés ! En français, veule a d’abord qualifié des paroles, des pensées légères, puis une personne affaiblie par la maladie ou le jeûne, comme le précise la définition du dictionnaire de Furetière : « qui est faible, faute d’avoir pris des aliments, ou d’avoir un estomac propre pour les digérer. » Au XVIIe siècle, le mot opère un nouveau virage sémantique pour qualifier une personne qui n’a aucune énergie, aucune volonté. Seul ce sens a perduré en français contemporain.
2. zigzag
Évoquant un mouvement rapide de va-et-vient, zigzag désigne d’abord très concrètement un assemblage articulé de pièces en losange pouvant s’allonger et se replier à volonté. C’est par analogie de forme que ce mot apparaît ensuite dans la locution en zigzag, qui signifie « en ligne brisée » (route en zigzag), avant de désigner le mouvement d’un objet ou d’une personne qui se déplace en zigzag (faire des zigzags). Dans un emploi figuré, le mot finit même par qualifier les revirements d’opinion les plus radicaux. Une définition qui pourrait bien convenir à l’évolution sémantique des mots de ce top 10 !
1. subjuguer
Être subjugué par le charme de quelqu’un est plutôt agréable. Mais attention, loin du contexte de la séduction, ce verbe a des origines plutôt belliqueuses. Subjuguer vient du latin subjugare qui signifie littéralement « faire passer sous le joug, soumettre ». En français, le verbe hérite son premier sens directement du latin, comme l’indique le dictionnaire de Furetière : « vaincre, dompter un peuple, lui faire subir le joug de ses lois, de sa domination, ou le faire passer sous le joug. » Rien que cela ! Heureusement, le sens s’est adouci avec le temps. Subjuguer quelqu’un, c’est désormais l’ensorceler, le charmer au point qu’il ne puisse plus résister. La prochaine fois que vous craquerez pour quelqu’un, souvenez-vous : vous ne faites pas que succomber à ses charmes. Non, vous êtes subjugué, vaincu par l’amour !
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1. Par souci d’accessibilité, les graphies utilisées dans les définitions du Dictionnaire universel de Furetière ont été modernisées pour la rédaction de ce top 10. Les définitions de Furetière avec leurs graphies anciennes peuvent être consultées à la fin de chaque article du dictionnaire de définitions.
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